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envoyés dans la paix du cercueil, pour arriver où nous sommes, — que de rester gisans, sous les tortures de l’âme, — dans un délire sans repos.

Il fait tuer Banquo, et au milieu d’un grand festin on lui apporte la nouvelle de l’assassinat. Il sourit et porte la santé de Banquo. Soudain, blessé par sa conscience, il voit le spectre de l’homme égorgé, car ce fantôme qu’amène Shakspeare n’est pas une machine de théâtre ; on sent qu’ici le surnaturel est inutile, et que Macbeth se le forgerait, quand même l’enfer ne le lui enverrait pas. Les muscles crispés, les yeux dilatés, la bouche entr’ouverte par une terreur monstrueuse, il le regarde branler sa tête sanglante, et crie de cette voix rauque qu’on n’entend que dans les cabanons de fous :


Je t’en prie, vois ici ! Regarde ! vois ! Oh ! que dites-vous ? — Si les charniers et nos tombeaux rejettent ainsi — ceux que nous enterrons, alors nos monumens — ne sont que des gésiers de vautours. — Va-t’en ! Délivre mes yeux ! que la terre te cache ! — Tes os sont sans moelle, ton sang est froid, — tu n’as point de regard dans ces yeux — qui flamboient contre moi ! — Autrefois, quand la cervelle était répandue, l’homme mourait, — et c’était la fin. Mais aujourd’hui ils se relèvent — avec vingt plaies mortelles dans le cœur, — et nous poussent hors de nos escabeaux.


Le corps tremblant comme un épileptique, les dents serrées, l’écume aux lèvres, il s’affaisse, et ses membres palpitent à terre, traversés de frissons convulsifs, pendant qu’un hoquet sourd soulève sa poitrine haletante et meurt dans son gosier gonflé. Quelle joie peut rester à un homme assiégé de tels rêves ? Cette large campagne sombre qu’il regarde du haut de son château n’est qu’un champ de mort hanté d’apparitions funèbres. L’Ecosse, qu’il dépeuple, est un cimetière « où lorsqu’on entend le glas des cloches pour un homme qui meurt, on ne demande plus pour qui, où l’on ne voit plus personne sourire, sauf les enfans, où la vie des hommes de bien se fane ayant les fleurs qu’ils ont à leur chapeau. » Son âme « est pleine de scorpions. » Il « s’est soûlé d’horreurs, » et la fade odeur du sang l’a dégoûté du reste. Il va trébuchant sur les cadavres qu’il entasse avec le sourire machinal et désespéré du maniaque assassin. Désormais la mort, la vie, tout lui est égal ; l’habitude du meurtre l’a mis hors de l’humanité. On lui annonce la mort de sa femme :


Elle aurait dû mourir plus tard. — On aurait eu alors un moment pour cette nouvelle. — Demain, puis demain, et puis demain ; — chacun des jours file ainsi à petits pas — jusqu’à la dernière syllabe que le temps écrit dans son livre. — Et tous nos hiers ont éclairé pour quelques fous — la route poudreuse de la mort. Éteins-toi ! à bas ! lumière d’un instant ! — La vie n’est qu’une ombre voyageuse, un pauvre acteur — qui se démène et s’agite