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prenait à son mari l’anneau qu’il avait promis de ne jamais quitter : ces trois ou quatre comédies, détachées, confondues, s’embrouillaient et se déroulaient ensemble, comme une tresse dénouée où serpentent des fils de cent couleurs. Mes spectateurs avec la diversité acceptaient l’invraisemblance. La comédie est chose légère, ailée, qui voltige parmi les rêves, et dont on briserait les ailes, si on la retenait captive dans l’étroite prison du bon sens. Ne pressez pas trop ses fictions, ne sondez pas ce qu’elles renferment. Qu’elles passent sous vos yeux comme un songe charmant et rapide. Laissez l’apparition fugitive s’enfoncer dans la brillante et vaporeuse contrée d’où elle est sortie. Elle vous a fait un instant illusion, c’est assez. Il est doux de quitter le monde réel ; l’esprit se repose dans l’impossible. Nous sommes heureux d’être délivrés des rudes chaînes de la logique, d’errer parmi les aventures étranges, de vivre en plein roman et de savoir que nous y vivons. Je n’essaie pas de vous tromper et de vous faire croire au monde où je vous mène. Il faut n’y pas croire pour en jouir. Il faut s’abandonner à l’illusion et sentir qu’on s’y abandonne. Il faut sourire en l’écoutant. On sourit dans Winter’s Tale quand Hermione descend de son piédestal et que Léonatus retrouve dans la statue sa femme, qu’il croyait morte. On sourit dans Cymbeline lorsqu’on voit la caverne solitaire où les deux jeunes princes ont vécu en sauvages et en chasseurs. L’invraisemblance ôte aux émotions leur pointe piquante. Les événemens intéressent ou touchent sans faire souffrir. Au moment où la sympathie est trop vive, on se dit qu’ils ne sont qu’un songe. Ils deviennent semblables aux objets lointains, dont la distance adoucit les contours, et qu’elle enveloppe dans un voile lumineux d’air bleuâtre. La vraie comédie est un opéra. On y écoute des sentimens sans trop songer à l’intrigue. On suit les mélodies tendres ou gaies sans réfléchir qu’elles inter rompent l’action. On rêve ailleurs avec la musique ; j’essaie ici de faire rêver avec des vers.

Là-dessus le prologue se retire, et voici venir les acteurs.

Comme il vous plaira est une fantaisie. D’action, il n’y en a point ; d’intérêt, il n’y en a guère ; de vraisemblance, il y en a moins encore. Et le tout est charmant. Deux cousines, filles de prince, arrivent dans une forêt avec le bouffon de la cour, Celia déguisée en bergère, Rosalinde en jeune homme. Elles y trouvent le vieux duc, père de Rosalinde, qui, chassé de son état, vit avec ses amis en philosophe et en chasseur. Elles y trouvent des bergers amoureux qui poursuivent de leurs chansons et de leurs prières des bergères indociles. Elles y retrouvent ou elles y rencontrent des amans qui deviennent leurs époux. Tout d’un coup on annonce que le méchant duc Frédéric, qui avait usurpé la couronne, vient de se retirer dans