Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenant Héléna qu’il aime. Les amans se fuient et se poursuivent le long des hautes futaies, dans la nuit sereine. On sourit de leurs emportemens, de leurs plaintes, de leurs extases, et pourtant on y prend part. Cette passion est un rêve, et cependant elle touche. Elle ressemble à ces toiles aériennes qu’on trouve le matin sur la crête des sillons où la rosée les dépose, et dont les fils étincellent comme un écrin. Rien de plus fragile et rien de plus gracieux. Le poète joue avec les émotions : il les confond, il les entrechoque, il les redouble, il les emmêle. Il noue et dénoue ces amours comme des chœurs de danse, et l’on voit passer auprès des buissons verts, sous les yeux rayonnans des étoiles, ces nobles et tendres figures, tantôt humides de larmes, tantôt illuminées par le ravissement. Ils ont l’abandon de l’amour vrai, ils n’ont point la grossièreté de l’amour sensuel. Rien ne nous fait tomber du monde idéal où Shakspeare nous emmène. Éblouis par la beauté, ils l’adorent, et le spectacle de leur bonheur, de leur trouble et de leur tendresse est un enchantement.

Au-dessus de ces deux couples voltige et bourdonne l’essaim des sylphes et des fées. Eux aussi, ils aiment. Titania, leur reine, a pour favori un jeune garçon, fils d’un roi de l’Inde, qu’Oberon son époux veut lui ôter. Ils se querellent, si bien que d’effroi leurs sylphes vont se cacher dans la coupe des glands du chêne, dans la robe d’or des primevères. Oberon, pour se venger, commande à Puck de toucher de la fleur magique les yeux de Titania endormie, et voilà qu’à son réveil la plus légère et la plus charmante des fées se trouve éprise d’un lourdaud stupide qui a la tête d’un âne. Elle s’agenouille devant lui. Elle pose sur ses tempes velues une couronne de fraîches fleurs odorantes. « Et les gouttes de rosée qui tout à l’heure s’étalaient sur les boutons comme des perles rondes d’Orient s’arrêtent maintenant, pareilles à des larmes, dans les yeux des pauvres fleurettes, comme si elles pleuraient-leur disgrâce. » Elle appelle autour de lui les génies qui la suivent :

Sautillez devant lui dans ses promenades, et gambadez devant ses yeux. — Nourrissez-le d’abricots, de groseilles, — de raisins empourprés, de figues vertes et de mûres. — Dérobez aux abeilles sauvages leur sac de miel ; — pour l’éclairer la nuit, coupez leurs cuisses de cire ; — allumez-les aux yeux de feu du ver luisant, — pour conduire mon amour au lit et pour l’éveiller ; — arrachez les ailes peintes des papillons ; — avec cet éventail, écartez de ses yeux endormis les rayons de la lune. — Venez, faites-lui cortège, conduisez-le à mon berceau. — Il me semble que la lune regarde avec des yeux humides, — et quand elle pleure, chaque fleurette pleure — sur quelque virginité perdue ; — arrêtez la langue de mon bien-aimé, amenez-le en silence.

Il le faut, car le bien-aimé brait horriblement, et à toutes les offres