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se substitua au grand roi, ajoutant encore à la majesté souveraine un prestige de plus, car il se déclara un être divin, fils d’un dieu et dieu lui-même. À l’organisation du gouvernement persan, il ne changea rien ; seulement il remplaça quelques hommes, fit de nouveaux satrapes, qu’il choisit parmi les Macédoniens, les Grecs, les Persans même. Peu avant sa mort, il semblait pencher vers les Asiatiques, parce qu’il les trouvait sans doute meilleurs courtisans que ses soldats, trop habitués au sans-gêne des camps pour se plier promptement à la nouvelle étiquette. En un mot, pour me servir des expressions de M. Grote, « Alexandre traita les barbares et les Grecs de la même manière ; il n’éleva pas les premiers, mais il abaissa les seconds. Au lieu d’helléniser l’Asie, il s’efforça de rendre asiatiques la Grèce et la Macédoine. »

On a probablement fort exagéré le nombre des villes fondées par Alexandre, ou plutôt on a donné le nom de villes à des camps et à des postes fortifiés, qu’il laissait ça et la sur sa ligne d’opérations. De toutes ces villes, Alexandrie en Égypte fut la seule qui prit un grand accroissement, et elle ne fleurit réellement que sous ses successeurs. C’est encore à ces lieutenans d’Alexandre, qui se partagèrent son héritage, qu’il faut attribuer l’influence grecque dominante en Asie, et qui survécut même à la conquête romaine. M. Grote explique fort bien d’ailleurs que cette influence fut plutôt celle des hommes que des institutions de la Grèce. Les successeurs d’Alexandre ne pensèrent pas à faire des conquêtes, mais à se fortifier dans les provinces qui leur étaient échues en partage. À cet effet, ils attirèrent autour d’eux des Macédoniens et des Grecs, parce qu’ils les croyaient meilleurs soldats que les gens du pays — et meilleurs collecteurs d’impôts. Des artistes, des commerçans, des ouvriers accoururent s’établir dans les villes fondées ou agrandies par ces rois macédoniens ; mais toute cette émigration grecque n’apporta en Asie aucune des idées politiques de la patrie. Empressés de faire fortune, ils ne songeaient qu’à complaire au prince ; ils furent des instrumens de despotisme très intelligens. L’amour du gain et la vie molle et voluptueuse de l’Orient changèrent rapidement leurs mœurs, et leur firent oublier leurs antiques traditions d’indépendance, lorsque Polybe visita Alexandrie, moins de deux siècles après Alexandre, il y trouva une vile canaille parlant bon grec, mais Aussi abrutie et corrompue que la canaille égyptienne.

Toutefois il faut savoir gré au conquérant d’un bienfait immense dont il fut l’auteur sans trop savoir ce qu’il faisait. C’est à lui qu’est due la diffusion de la langue grecque, qui devint rapidement celle de tous les honnêtes gens dans’ e monde antique. Non-seulement elle aplanit les obstacles qui rendaient autrefois si difficiles les relations