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et léger du caractère de son héros; l’auteur du Prince Frédéric a étudié l’homme tout entier, son mélange d’enthousiasme et de scepticisme, de frivolité mondaine et de ténacité philosophique, et c’est assurément un tableau original que celui d’un pareil esprit se débattant contre la tyrannie de son père. Cette lutte de la jeunesse vivante contre la tradition morte était un sujet plein d’écueils; M. Laube a su se garder de la déclamation. La philosophie de son drame n’est pas dogmatiquement exprimée, elle résulte de l’action même et du développement des caractères. On comprend mieux le grand Frédéric quand on a vu quelles contraintes furent imposées à son ardente jeunesse. M. Laube a écrit une pièce bien allemande, une bonne étude historique animée d’une haute pensée morale. Le Comte d’Essex, qui offrait pour l’Allemagne un intérêt moins vif, est aussi une pièce conçue avec force et habilement composée. M. Henri Laube est entré dans une voie féconde; il s’y affermira encore, et le succès ne lui fera pas défaut.

Je voudrais que cet exemple pût profiter à un autre écrivain qui appartient également au groupe des poètes viennois, M. Frédéric Hebbel. L’auteur de Judith, de Geneviève, d’Hérode et Marianne, de Michel-Ange, d’Agnès Bernauer, n’est certes pas une imagination ordinaire; j’ai apprécié ici les rares qualités de son esprit, j’ai dit quelle était sa vigueur et son audace, j’ai été obligé de signaler en même temps le délire de son inspiration. Après avoir trouvé des effets inattendus dans le drame symbolique, M. Hebbel semblait avoir pris pied sur le terrain du monde réel; la dernière de ses œuvres, Agnès Bernauer, annonçait en ce sens un progrès auquel je me suis empressé d’applaudir. Malheureusement M. Hebbel est retourné à son premier système, et tout le mérite qu’il y déploie ne le préservera pas de l’indifférence et du dédain. M. Hebbel vient de publier un drame intitulé Gygès et son anneau (Gyges und sein Ring); c’est une œuvre pleine de détails excellens, écrite et pour ainsi dire ciselée avec une exquise élégance; mais l’auteur croit-il décidément que le rôle du poète dramatique est de proposer des énigmes aux spectateurs? Le roi Candaule, dans le drame de M. Hebbel, représente la civilisation; Gygès, armé de son anneau, c’est l’analyse et le libre examen. Voilà du moins ce que j’ai cru deviner. Il suffit d’énoncer ce programme pour en faire justice; bien habile qui pourrait suivre dans le développement de la fable toutes les subtilités du poète. Et c’est au moment où l’Allemagne comprend enfin le prix de la réalité que M. Hebbel s’enfonce plus avant dans les régions du mythe! Qu’il regarde autour de lui, qu’il interroge les sentimens de son pays et de son siècle: les avertissemens ne lui manqueront pas. L’esprit public est devenu amoureux de la clarté, il n’a pas chassé le pédantisme