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était entouré de jardins peuplés de statues. Les rampes circulaires des terrasses aboutissaient à des futaies épaisses, coupées d’allées à la française d’une grande majesté; mais pour gagner ces ombrages il fallait traverser de vastes espaces en plein soleil et pendant cinq minutes poser les pieds sur les dalles brûlantes. Tout était sacrifié à la beauté des lignes, aux perspectives, à l’aspect monumental de l’édifice. Le noble génie italien se révélait fièrement dans ce mépris des commodités de la vie, allié au goût du grandiose, au culte passionné des arts. En hiver, on grelottait dans ces hautes salles démeublées, couvertes de fresques par les Florentins. Sir John prenait déjà ses mesures pour trouer les plafonds, percer les murs, et faire circuler partout un immense calorifère. — Puisque ce palais est à vendre, je l’achèterai, disait-il; mais c’est inhabitable, nous y ferons de grands embellissemens. Il faudra dessiner ces jardins à la moderne; je veux utiliser ces statues; quand elles auront toutes un bec de gaz à la main, ce sera d’un effet magique.

Pendant que sir John s’occupait de ces embellissemens, Olivia et Sarah se promenaient dans le parc avec Maxime. En rentrant, on faisait des lectures en famille. Maxime ne savait pas un mot d’anglais, ses hôtes parlaient italien d’une façon horrible; mais l’on s’entendait à merveille, et auprès d’eux Maxime oubliait ce dilettantisme moqueur, cette extrême susceptibilité que les Italiens apportent avec les étrangers pour tout ce qui touche à leur langage. Il commençait à s’habituer à l’âpre et brusque prononciation de sir John, et lorsque Olivia lui parlait, de très bonne foi il trouvait charmantes toutes les inflexions de cette voix brève et saccadée qui déchirait si vivement les belles syllabes harmonieuses.

Olivia avait voulu prendre des leçons de Maxime dans une Bible italienne. Un jour, en lisant Ruth, ils s’arrêtèrent à ce passage du livre sacré :

« 16. Ne vous opposez point à moi en me portant à vous quitter et à vous en aller, car, en quelque lieu que vous alliez, j’irai avec vous, et partout où vous demeurerez, j’y demeurerai aussi. Votre peuple sera mon peuple, votre Dieu sera mon Dieu.

« 17. La terre où vous mourrez me verra mourir, et je serai ensevelie où vous le serez. Je veux bien que Dieu me traite dans toute sa rigueur, si jamais rien me sépare de vous que la mort seule. »

Elle relut deux fois ces versets, d’une voix insinuante, en regardant très gravement Maxime. Les mots couraient sur ses lèvres fines comme un gazouillement d’oiseau, et lui, tout troublé, il l’écoutait avec ravissement, et toutes ces paroles de la Moabite résonnaient dans son cœur avec une douceur sans égale. Jamais bouche toscane ne lui parut plus mélodieuse.