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d’abord il fut séduit par la noble apparence des mœurs anglaises. Tout lui semblait admirable dans cette savante distribution des choses : les terres si bien aménagées, les élégans équipages, les serviteurs nombreux et bien dressés, les chasses magnifiques; nulles traces de pauvreté autour de cette riche et modeste demeure, dont le luxe se cachait à l’intérieur. S’il y avait des misérables dans le pays, ils étaient soigneusement tenus à l’écart, loin de toute rencontre, et jamais le spectacle des haillons ne venait attrister les regards sous ces grands arbres, au milieu des vertes pelouses. Ce qui charmait surtout Maxime à Saint-Alban, c’étaient les mœurs dignes, calmes, réservées, d’extérieur si décent, la grande et solide opulence. Ces parens des Harris, les Annesley, les Granby, et leurs voisins, qu’il n’avait fait qu’entrevoir à son premier voyage, l’avaient reçu comme un vieil ami. Dans la société de ces honnêtes gens, si respectueux d’eux-mêmes, d’une tenue si sévère, il prenait tous les jours en plus grand mépris ses anciens compagnons d’aventures, et par leur contraste avec ces fanfarons de Malte, tous les habitués de Saint-Alban lui paraissaient très aimables; il les trouvait tous d’un commerce charmant, tous, jeunes et vieux, les plus froids, les plus gourmés, et jusqu’à cette glaciale miss Osborne, qu’on n’avait jamais vue sourire.

Dans sa jeunesse, miss Osborne avait eu sans doute un grand renom de beauté, car les vieilles gens qui fréquentaient la maison ne manquaient jamais de lui comparer Olivia. Lorsqu’ils voulaient complimenter la comtesse Alghiera, ils ne trouvaient rien de mieux que d’insister sur cette ressemblance. Dans les premiers temps, Maxime ne prêtait pas grande attention à leurs discours; mais à la longue il finit par trouver ces rapprochemens fort ridicules, et comme il en témoignait un jour son vif déplaisir au docteur : — Pas un mot de plus! lui répondit le prudent Girolet en posant son doigt sur ses lèvres. Jusqu’à présent, vous avez eu le plus grand succès auprès d’elle; ne gâtez pas vos affaires. Pas un mot de plus, et surtout devant votre femme !

Olivia, comme toutes les personnes de la famille, témoignait à miss Osborne une déférence, un respect sans bornes qui, chez elle, se mêlait d’admiration. A Saint-Alban, parens, amis, serviteurs, tous se tenaient devant cette miss Osborne comme devant un juge inflexible et droit, inaccessible à l’injustice aussi bien qu’à la miséricorde. Dans les moindres choses comme dans les plus graves affaires, on pouvait reconnaître quelle grande autorité elle exerçait à Saint-Alban par la force de son caractère. Le gouvernement moral de toute cette famille était dans ses mains; rien ne se décidait sans son consentement. Le manufacturier Granby la consultait pour ses