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d’âme. Elle s’était fait une paix définitive. Tout imprévu la choquait; elle ne craignait rien tant que d’être dérangée, de quelque manière que ce fût, au mieux ou au pire. Avant tout, elle redoutait d’être réveillée; elle haïssait d’instinct tout ce qui pouvait altérer la comfortable et paisible ordonnance de sa vie. Elle semblait ne plus aspirer qu’à réaliser le type que lui présentait miss Osborne, et à son exemple elle se tenait droite et raide dans ses habitudes d’esprit et ses orgueilleuses vertus terrestres, comme ces personnes bien attifées qui n’ont d’autre souci que de ne pas laisser friper leur toilette. Immobilisée dans ses goûts, ses sentimens, ses habitudes, elle se maintenait sans effort dans cette inaccessible région moyenne où rien ne vibre, rien ne tressaille, certaine d’arrêter tout élan, tout mouvement d’esprit, avec ce pharisaïsme énergique qui brisait toute élasticité dans son âme.

Était-ce bien là cette même Olivia dont il avait entrevu la beauté idéale dans une si haute lumière, cette Olivia qui s’était avancée vers lui, les mains pleines de grâces, dans le rayonnement de sa jeunesse ? Eh quoi ! tant d’espérances à jamais ensevelies, tant de promesses vaines! L’amitié héroïque aux jours de péril et dans les mille déceptions de la vie, l’appui, le secours intérieur, la douce assistance, toutes ces choses offertes et données, fallait-il les oublier comme des rêves, y renoncer à jamais? Non, ce n’étaient pas des rêves; toute cette vie s’était répandue avec richesse un jour, une heure, mais la source en était tarie.

Olivia était de celles qui n’ont qu’une lueur de jeunesse à jeter dans le monde. Il y a pour ces âmes une sorte de beauté du diable qui brille un jour, puis tout à coup s’efface et disparaît. Cette heure poétique ne reviendra plus. L’heure envolée, quels tristes lendemains! La prose a repris tous ses droits; l’envahissante nature inférieure ressaisit l’âme tout entière et se venge par un triomphe durable, continu. Un matin de printemps, ce cœur glacé s’était entr’ouvert; il se refermait pour toujours, après s’être épanoui comme par surprise sous le ciel d’Italie. Reprise par le génie de sa race et de sa famille, tous les jours Olivia s’isolait davantage en elle-même. D’heure en heure, elle se concentrait et se contractait plus durement encore dans son âpre individualisme.

Leur vie s’écoulait ainsi nulle et vide. Sans bruit, sans déchiremens, sans crises, de soi-même, tout s’écroulait, ou plutôt tout s’affaissait. En vain espérait-il encore faire revivre les choses du passé. Si unis en apparence, ils n’avaient plus rien de commun; en parlant le même langage, ils ne se comprenaient plus : il semblait que leurs esprits n’habitassent plus les mêmes sphères. Tous les jours l’abîme se creusait entre eux plus profond et plus vaste. Le mal irréparable étendait ses ravages lentement et sûrement. Déjà dans leur mémoire