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ces souvenirs lumineux des premiers jours, du temps heureux, s’effaçaient sourdement; le passé leur échappait tout autant que l’avenir. Leurs âmes se séparaient à jamais, comme ces lignes des angles qui S8 fuient à l’infini après s’être rencontrées dans un point de l’espace.

Et de ce mal profond, infini, rien ne se trahissait au dehors. Vivre ainsi tous les jours dans cette concorde apparente, et si profondément désunis! Rapprochés aux yeux de tous, et si étrangers l’un à l’autre, chacun relire dans sa sphère, dans son moi impénétrable, quelle chose mensongère!... Rien n’est triste comme cette paix dans la mort.

Quelle terreur saisit Maxime! quelle souffrance lorsqu’il eut conscience d’une si profonde détresse, lorsque le vrai de cette nature lui apparut, lorsqu’il toucha le fond de cette âme, ce fond dur et résistant, sans sonorité comme sans lumière, fermé de toutes parts comme un mur d’airain, sans perspectives, sans issues, où rien ne s’ouvrait vers l’infini! Il souffrait cruellement pour elle, et de cette certitude de ne pouvoir porter aucun secours à cette âme en si grand péril. Jamais son cœur ne s’était élevé si haut, et toute vie fraternelle lui était refusée! Quelle misère que la sienne! Ah! si cette lumière du foyer vient à s’éteindre, comment retrouver sa voie au milieu de la triste nuit qui nous environne? Il les connut, ces amères douleurs d’une âme aimante et toujours refoulée sur elle-même, condamnée à l’éternelle solitude. Il le gravit, cet âpre chemin où tous les grands cœurs ont laissé la trace de leurs blessures saignantes. Se donner sans cesse et ne rencontrer que l’indifférence et la tiédeur d’âme, exalter et raviver en soi la plus noble, la plus généreuse amitié, et ne rien recevoir en échange! Et tous les jours, à toute heure le navrant spectacle de cette aridité, de cette mort!

Il savait que tout était désespéré, perdu, et par la persévérance d’un amour fidèle, en redoublant de sacrifice, il tentait encore de réveiller l’âme d’Olivia; il remuait à toute heure les cendres de ce foyer éteint, et la triste certitude s’affermissant toujours, il tombait dans des agitations extrêmes. Les âmes en cet état de trouble, et les meilleures, donnent prise à chaque instant par leurs ardeurs inquiètes, leurs impatiences, leurs colères généreuses. Il n’est point difficile de les vaincre. Dans ses tentatives désespérées, il ressemblait vraiment à ces vaillans barbares qui se ruaient à découvert, le corps nu, sur le fer immobile des légionnaires de Rome. Elle, toujours armée de son indifférence, elle recevait le choc, sans trouble, sans colère, invincible dans sa froide discipline. Après ces défaites, il s’éloignait, humilié, découragé, et pendant des semaines, des mois entiers, il se tenait à l’écart avec une tristesse farouche; puis, la revoyant à son retour comme par le passé, tranquille et souriante, heureuse, il lui arrivait de s’accuser d’injustice et de dureté. Par momens même