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un homme tient une boutique d’épicier et vole le public, il ne doit pas être protégé parce qu’il se trouve être l’un des membres de l’aristocratie. C’est de cela que je me plains. Ces messieurs tiennent en effet une grande boutique d’épicier, et à propos de chaque article de leur magasin, ils cherchent comment ils pourront pervertir le pouvoir législatif de telle sorte que la communauté paie plus cher au profit de l’aristocratie. Un temps a été où tout commerce était regardé comme incompatible avec ce haut rang ; vos barons féodaux ne se faisaient aucun scrupule de voler à main armée, mais ils auraient repoussé avec mépris le vol à l’aide du faux poids d’un droit protecteur… Aujourd’hui que les nobles deviennent marchands et que les ducs trafiquent de toute sorte de denrées, se servant de la mémoire de leurs ancêtres pour faire de meilleurs marchés, nous avons bien le droit de nous récrier et de dire que ce n’est pas là agir loyalement envers les autres marchands du pays. Pour moi, je l’avoue, mon imagination ne sort plus de ce chaos ; je ne sais plus me figurer le duc de Richmond qu’avec sa couronne de duc sur la tête, un échantillon de blé dans sa poche, un saumon dans une main, une bouteille de whiskey dans l’autre, et la couronne de duc tombe dans la balance avec le saumon pour le faire payer plus cher à qui veut le manger… Vraiment il ne se peut pas que de si étranges incongruités, que cette dégradation de la dignité aristocratique et de l’honneur du pouvoir législatif couvrent les méfaits et fassent la fortune d’une classe de marchands. »

Rien n’est plus efficace que de divertir les hommes en servant leur passion et ce qu’ils regardent comme la justice ; les discours de M. J. W. Fox dans la salle de Covent-Garden avaient un immense retentissement, et contribuaient, autant que ceux de M. Cobden dans la chambre des communes, à rendre la ligue de jour en jour plus populaire et plus puissante. Ses efforts redoublaient avec ses succès ; elle instituait dans les villes manufacturières des cours publics pour répandre parmi les ouvriers les principes fondamentaux de l’économie politique ; elle ouvrait à Londres un grand bazar riche des offrandes qui lui venaient de tous les points des trois royaumes, de leurs colonies, des États-Unis d’Amérique, et elle réalisait en dix-sept jours, par les billets d’entrée ou par les ventes, une somme de 25,000 liv. sterl. (625,000 fr.). Dans plusieurs districts purement agricoles, des fermiers, des laboureurs formèrent des meetings, y racontèrent leur détresse, en discutèrent les causes, et finirent par proclamer bruyamment leur adhésion aux principes de la ligue et à ses malédictions sur la loi des grains. Au lieu de s’user en se prolongeant, le mouvement devenait chaque jour plus vif et plus général ; les campagnes se joignaient aux villes, les ouvriers aux maîtres, les pay-