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leurs pieds s’étendait un lac dont les bords étaient couverts d’une herbe verte; on n’y apercevait point de glace. Ils laissaient derrière eux l’hiver, le vent froid, les plus sombres, la neige, pour entrer dans le printemps. La plaine qui se déroulait devant eux est une partie du Grand-Bassin, et les montagnes qu’ils venaient de traverser en forment de ce côté la ceinture. Une fois descendu dans le Grand-Bassin, Frémont en suivit la limite occidentale en inclinant vers le sud, et découvrit une suite de lacs rangés au pied de la Sierra-Nevada californienne, comme, du côté des Montagnes-Rocheuses, le Grand-Lac-Salé, les lacs Utah, Nicollet et Preuss sont situés le long de la chaîne des montagnes qu’on nomme Wahsatch. Cette singulière région, que Frémont appelle le Grand-Bassin, ne mérite donc pas, à proprement parler, ce nom, puisque les cours d’eau ne descendent point vers une mer intérieure centrale, mais vont du centre vers les bords, où ils sont arrêtés par de hautes barrières montagneuses, et s’amassent dans des lacs où ils deviennent saumâtres ou salés.

Le plus grand de tous les lacs aperçus par Frémont est celui auquel il donna le nom de lac de la Pyramide à cause de la forme d’un rocher qui s’y élève dans le milieu, à 200 mètres au-dessus du niveau de l’eau. Ce lac est situé à 4,890 pieds d’altitude, par conséquent à 700 pieds plus haut que le Grand-Lac-Salé lui-même. Dominé par les âpres escarpemens de la sierra californienne, il forme en quelque sorte le pendant naturel de la Mer-Morte des mormons, qui s’étend au pied d’une chaîne des Montagnes-Rocheuses, et ces deux lacs, les plus grands de tout le bassin, occupent les deux extrémités du diamètre qui le traverse dans la direction de l’est à l’ouest.

Frémont, continuant de longer la Sierra-Nevada, dont il apercevait les cimes aiguës et couronnées de neige, cherchait toujours le fleuve Buenaventura, qu’il se proposait de descendre jusqu’à l’Océan-Pacifique; mais tous les Indiens qu’il rencontra lui firent comprendre par signes qu’aucun des cours d’eau du Grand-Bassin ne franchissait les montagnes. La position de Frémont devenait critique : il ne pouvait rester plus longtemps avec sa petite troupe dans cette région inconnue, dépourvue à peu près de toute ressource, ni traverser avec le peu de provisions qui lui restaient l’immense étendue qui le séparait des Montagnes-Rocheuses et du Col du Sud. Il prit le parti héroïque et presque désespéré de franchir, au cœur de l’hiver, la haute chaîne de la Sierra-Nevada pour descendre dans la Californie. Quand il demanda un guide aux Indiens, ils ne répondirent à ses offres et à ses présens qu’en montrant du doigt la neige sur les montagnes, et lui firent comprendre par signes qu’il fallait