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descendre beaucoup plus loin vers le sud pour trouver un passage dans la sierra. Frémont savait lui-même qu’un hardi trappeur, du nom de Walker, avait découvert le col que les Indiens voulaient indiquer au point où la chaîne de la Sierra-Nevada va s’unir à une chaîne plus basse qui suit la côte de la Californie. Il se détermina pourtant à chercher un passage lui-même et à entrer directement dans la sierra, au lieu d’aller, comme Walker, la tourner par le sud. Il traversa à marches forcées les premiers échelons de l’immense barrière montagneuse, et se trouva bientôt en face de la chaîne centrale. Les Indiens vinrent le soir à son bivouac, lui expliquèrent par signes qu’il ne pourrait réussir, et le conjurèrent de renoncer à son projet. Un jeune homme qui avait déjà franchi les montagnes et vu les blancs consentit enfin à lui servir de guide.

Au moment de tenter la périlleuse ascension de la sierra, Frémont rassembla tous ses hommes, et leur demanda de faire un grand effort ; il leur parla du Sacramento, des beaux pâturages, du climat délicieux de la Californie, de l’abondance du gibier qu’ils y trouveraient : il les anima tous de son courage et de sa confiance. On commença aussitôt l’ascension des montagnes ; la neige était extrêmement profonde, et il fallait y creuser une route. Pour faire ce service, on formait un parti de dix hommes, à qui on donnait les chevaux les plus forts. L’un d’eux ouvrait la route à pied ou à cheval ; quand la fatigue l’arrêtait, il se plaçait derrière la file, et d’autres prenaient la tête. On n’avançait ainsi qu’avec une extrême lenteur. Chaque soir on faisait un grand feu, et l’on formait un camp en fondant la neige, qui presque partout atteignait les branches élancées des pins, et au-dessous de laquelle on trouvait quelquefois un peu d’herbe pour les chevaux. Quelques Indiens vinrent encore rejoindre les voyageurs et essayèrent de les empêcher d’aller plus loin. « Roche sur roche, neige sur neige, » répétaient-ils sans cesse dans leur harmonieux langage, en montrant à Frémont les crêtes qui s’élevaient encore devant lui. Le lendemain le jeune guide indien déserta ; les provisions de la troupe étaient épuisées ; il fallut manger deux chiens et tuer ensuite des mulets : rien ne put décourager Frémont.

Quelle ne fut pas la joie des voyageurs quand, arrivés au sommet d’un pic élevé, ils aperçurent à l’horizon la ligne verte qui marquait la vallée du Sacramento ! Mais, pour y parvenir, il fallait encore traverser d’immenses champs de neige, gravir des cimes sans nombre. Le col qui amena Frémont sur le versant occidental de la grande chaîne de la sierra a 9,238 pieds d’altitude, et se trouve par conséquent à 2,000 pieds plus haut que le Col du Sud, par où l’on franchit les Montagnes-Rocheuses. Sur le côté oriental de la sierra, les