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m’y résignerai; mais après avoir outragé la grammaire pour ménager l’amour-propre de M. Madrazo, je me rappellerai les paroles de Galilée confessant à genoux que la terre ne tourne pas autour du soleil, et disant après ce pénible aveu : « Pourtant elle tourne! » J’emploierai deux fois le conditionnel, et je me consolerai en disant tout haut et devant témoins : « J’ai fait un solécisme; que Vaugelas et Beauzée me pardonnent! » Philaminte a proclamé les droits souverains de la grammaire, et les récriminations de Martine n’ont pas prévalu contre la doctrine de Philaminte. Figaro a prouvé à Marceline de Verte-Allure toute l’importance des particules disjonctive et copulative. Après Molière et Beaumarchais, je me vois forcé d’invoquer l’autorité souveraine de la grammaire. Le nom de ces illustres devanciers relève l’obligation qui m’est imposée.

J’aborde maintenant la question générale. A quelles conditions l’examen des œuvres de l’esprit peut-il porter profit au public et aux artistes? Je ne crois pas qu’il y ait deux manières de répondre. Si la discussion n’a pas le droit de toucher librement à toutes les parties d’un tableau, d’une statue, d’un poème, d’une partition, elle n’est plus qu’un divertissement, un passe-temps. La critique sans liberté peut se taire ou parler sans que rien soit changé dans l’état des lettres ou des arts. La législation a-t-elle voulu réduire la critique au silence? Jusqu’à preuve du contraire, je me permets d’en douter. Dans le domaine du goût comme dans le domaine politique, la liberté de discussion offre plus d’un danger : je n’ai pas à m’occuper de la seconde partie de cette affirmation; quant à la première partie, je sais depuis longtemps ce qu’il en faut penser. Oui, sans doute, dans le domaine du goût, qui d’abord semble étranger à toutes les passions, la discussion peut s’égarer d’une manière fâcheuse pour les parties intéressées. Si, au lieu de s’en prendre aux œuvres, elle s’en prend aux personnes, elle doit être sévèrement réprimée. Tant qu’elle se renferme dans les questions poétiques ou techniques, je ne pense pas que la loi puisse l’atteindre. Vouloir prohiber le libre examen des œuvres de l’esprit serait vouloir prohiber la vie même de l’intelligence. Une telle intention n’est écrite dans aucune page de notre législation. L’homme juge, approuve ou désapprouve l’œuvre du poète, du peintre, du sculpteur, de l’architecte ou du musicien, comme les arbres croissent, comme les fleuves marchent vers la mer, comme la lumière nous vient du soleil. La législation d’un peuple civilisé ne peut pas méconnaître la nature de l’homme, et la France compte depuis longtemps parmi les peuples civilisés.

Louis XIV, dont quelques historiens ont sans doute exagéré le mérite, mais à qui les esprits éclairés n’ont jamais refusé l’intelligence du gouvernement, trouvait bon que Boileau parlât de Pradon et de Chapelain avec une liberté absolue. Jamais ni Chapelain ni