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Pyrénées, s’il faut en croire son biographe, il est entouré d’un tel respect, d’une telle admiration, qu’il doit avoir quelque peine à se prendre pour un homme; ses amis ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire pour lui persuader le contraire. Je regrette qu’ils aient négligé de publier en français les pages vraiment curieuses que je viens de lire; tous les écrivains qui s’avisent parmi nous de discuter les œuvres contemporaines auraient su du moins comment on entend la critique à Madrid, et se seraient empressés d’adoucir leur langage pour ne pas manquer aux lois de l’hospitalité. Don Federico de Madrazo y Kuntz est un personnage à part dans l’histoire de notre temps. Il ne paraît pas qu’on ait tiré son horoscope à l’heure de sa naissance, nous ignorons sous quelle conjonction astronomique il est entré dans la vie; mais nous savons du moins par son biographe de Madrid que son baptême fut entouré de circonstances extraordinaires. La scène se passe à Rome, dans l’église de Saint-Pierre, le 12 février 1815. Notre langue est si pauvre, qu’elle ne peut rendre fidèlement la grandeur et la beauté du récit espagnol! Aussi je n’essaie pas de le reproduire, j’épuiserais mes forces dans une lutte inutile. Qu’il suffise au lecteur d’apprendre que don Federico de Madrazo y Kuntz était présenté aux fonts baptismaux par un prince allemand. Par une étrange étourderie, son père avait oublié de s’informer de la religion du parrain. Or le parrain était protestant. Notez bien ceci, car c’est un point d’une immense importance. Le prêtre chargé du baptême récuse le parrain. Que fait alors le prince allemand? Il donne une preuve surprenante de sagacité en déléguant ses pouvoirs à un baron de sa suite, protestant comme lui, et qui est également récusé. Le prince alors délègue ses fonctions de parrain à son maître de musique. Italien et catholique. La cérémonie du baptême achevée, le prince rentre dans son palais, et se met à méditer sur la foi protestante inquiète et mobile, sur la grandeur et l’immutabilité de la foi catholique. Rien ne peut le distraire de sa profonde mélancolie. Enfin, après une douloureuse anxiété, il abjure la foi protestante et se fait catholique. Un écrivain vulgaire n’établirait qu’un rapport de succession entre le baptême de don Federico de Madrazo y Kuntz et l’abjuration du prince; mais le biographe à qui j’emprunte ces précieux détails n’hésite pas avoir dans le second fait la conséquence nécessaire du premier. Admirable hardiesse qui donne à son récit quelque chose de surnaturel ! et il ajoute avec une simplicité touchante : La Providence, en se servant de don Federico comme d’un instrument indirect pour la conversion d’un infidèle, montrait assez clairement les grandes vues qu’elle avait sur lui!

Que ces paroles à jamais mémorables servent de guide et de flambeau à tous ceux qui voudront parler de don Federico ! Il était dès