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pieux qu’elle prodigue à l’auguste malade, exprime par le jeu de sa physionomie une tristesse inquiète, la curiosité d’un savant, et en même temps le sentiment de l’immense responsabilité qui pèse sur lui. — Jamais la peinture n’avait trouvé moyen d’exprimer sur un seul visage des pensées aussi variées, jamais le pinceau n’avait lutté avec la parole d’une manière si étonnante : tristesse, curiosité, sentiment de la responsabilité, trois données dont une seule épuiserait le talent d’un artiste ordinaire, et même d’un artiste habile! Mais un artiste prédestiné ne doute de rien, ne recule devant aucune difficulté; aussi don Federico n’a pas hésité à tenter l’expression simultanée de ces trois données, et le succès le plus complet, le plus décisif, est venu couronner ses généreux efforts. Au témoignage de M. Ochoa, en regardant le tableau de don Federico, tous les spectateurs ont deviné la triple pensée qu’on avait voulu traduire, et chacun s’accordait à reconnaître que le médecin de sa majesté trahissait une vive inquiétude pour sa réputation personnelle. Il faut s’incliner devant un tel prodige, et avouer que les présages du 12 février 1815 n’étaient pas des présages menteurs. M. Ochoa abandonne, pour la description de ce tableau, la simplicité habituelle de son style, et prodigue les images les plus hardies. Ce n’est pas nous qui le blâmerons, à Dieu ne plaise ! Virgile disait : « Si nous chantons les forêts, que les forêts soient dignes du consul! » M. Ochoa s’est souvenu à propos de ce conseil, légué à nos méditations par la sagesse antique. Il a senti la nécessité d’élever sa parole à la hauteur du sujet qu’il avait à traiter. Grâces lui soient rendues! Ses élans lyriques n’ont rien de condamnable. En prodiguant les tropes les plus hardis pour décrire le tableau de don Federico, il n’a fait qu’accomplir le devoir d’un bon parent, d’un loyal patriote. Pénétré d’un saint étonnement en présence d’une merveille inattendue, il entonne un cantique : ce n’est pas là un sujet de blâme. Si le tableau de don Federico répond à la description qu’il en a donnée, il n’y a pas à discuter sur le choix du langage; les paroles les plus belles sont à peine suffisantes pour célébrer un tel prodige! Plus je pense à la triple expression du visage du médecin, et plus j’envie le sort de M. Ochoa. J’ai visité bien des galeries, j’ai contemplé bien des chefs-d’œuvre, mais il ne m’a jamais été donné de voir un tableau pareil à celui de don Federico. Peut-être, pour se rendre digne d’un tel bonheur, faut-il se soumettre à de certaines épreuves qui purifient l’intelligence et donnent au regard une portée surhumaine.

Mais je n’ai pas à m’enquérir des moyens employés par M. Ochoa pour arriver à découvrir sur un même visage l’expression simultanée de trois sentimens. Je ne révoque pas en doute la sincérité de son témoignage : j’admire et je m’humilie. Après avoir étudié Rome,