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pour céder à la fin. La bourgeoisie était devenue son instrument. Frondeuse, mais complaisante, mécontente, mais soumise, il était rare qu’elle tardât longtemps, dans chaque conflit, à prendre parti pour l’autorité royale. Sa faiblesse comme sa raison, son honnêteté comme sa vanité, tout l’y portait. L’appui de l’état, les distinctions qu’il accordait, les charges, comme on disait alors, les places, comme on dit aujourd’hui, donnaient seules aux membres du tiers une importance flatteuse, même une indépendance suffisante. Relever du prince avait été de bonne heure, sous le régime féodal, une liberté relative, et les vassaux du roi se croyaient plus près d’être citoyens que les autres. Il en restait quelque chose, et les sacrifices qu’une mauvaise administration imposait aux bourgeois les choquait moins que le crève-cœur d’en voir dispensés les gentilshommes. L’inégalité offensait bien avant l’oppression. C’est le côté le plus instructif et le plus piquant à la fois du travail de M. de Tocqueville que la description exacte et neuve qu’il a donnée des rapports de l’administration avec la société. On y voit clairement que, longtemps avant notre âge, le pouvoir central avait commencé d’être le pouvoir universel. C’était sans résistance, c’était presque d’elle-même que la nation avait laissé toutes ses affaires graviter ainsi vers le centre, et que, devenue incapable soit de se défendre, soit de se conduire, elle avait peu à peu accepté une tutelle qui la délivrait de toute responsabilité. On n’avait pas attendu la révolution pour avoir la manie de gouverner en tout et le goût d’être en tout gouverné; les classes moyennes en avaient les premières donné l’exemple. Alliées de la royauté dans ses plans d’uniformité, qui devaient réaliser pour l’une la toute-puissance, pour les autres l’égalité, elles s’entendaient aisément avec les officiers publics, presque tous pris dans leurs rangs. Ceux-ci, à leur tour, animés contre les classes privilégiées des mêmes sentimens que le gros de la nation, en formaient comme l’avant-garde dans le pouvoir, et lui servaient comme de représentation. Ainsi nous sommes devenus de longue main le peuple le plus administratif qui existe, et s’est élevée la question de savoir si un peuple aussi administratif peut devenir un peuple aussi politique que nous aurions voulu l’être.

L’arbitraire illimité du gouvernement fut un des résultats les plus certains des derniers âges de la monarchie, et, chose étrange, il fut conquis par des réformes civiles, souvent agréables aux sujets, qu’elles dispensaient de plus en plus de luttes et d’efforts. Ce devint une des parties du bonheur public que de n’avoir plus à disposer de soi-même. Il se développa dans la vie politique une disposition analogue à celle de l’Espagnol, qui, dans la vie privée, aime mieux vivre de secours à la porte d’un couvent que des efforts et des