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chances du travail. Les classes élevées auraient dû donner un exemple contraire; mais elles avaient à leur manière grossi de leurs prérogatives celle du gouvernement, comme on porte, en temps de crise, son argenterie au trésor. Qui n’est pas populaire tourne au courtisan. Les privilèges, dépouillés de toute utilité générale, ne valaient plus guère la peine d’être défendus que comme des bénéfices agréables. Le clergé, constitué d’une manière plus indépendante, mais dont presque tous les chefs appartenaient à la noblesse, avait pris une partie de ses idées. En tant que corps politique, il se conduisait à peu près comme elle. Les compagnies judiciaires n’avaient pas en principe abdiqué leurs droits; mais elles étaient peu encouragées par l’opinion à les exercer, et leurs traditions commençaient à ressembler à des préjugés. Entraînée par des intérêts de famille dans la dépendance universelle, la judicature recrutait l’église, l’armée même, surtout les conseils de l’administration, et voyait ses membres se transformer lentement de magistrats en fonctionnaires. Et tous ces changemens, peu louables en eux-mêmes, étaient venus à la suite d’une civilisation plus avancée. Ils dataient des temps où la société française avait paru la plus heureuse ou la plus brillante : ils étaient dus aux hommes qui avaient le plus illustré son gouvernement. C’est par ses progrès que la monarchie marchait à sa décadence. Je me souviens qu’il y a quelque dix ans, dans un moment où la chambre des députés discutait je ne sais quelle mesure destinée à nous prémunir contre les tentations de la corruption politique, je m’entretenais avec un membre de l’assemblée des plus distingués par ses lumières et le respect unanime de ses collègues. Impatienté des obstacles que nous éprouvions pour garantir, suivant nos idées, l’indépendance parlementaire, je me laissai aller à dire, avec cette vivacité d’exagération qu’engendre la vie des discussions libres : «En vérité, je crois que la dignité personnelle a disparu de ce pays-ci. — Oui, monsieur, depuis Louis XIII, » me dit froidement M. Lepelletier d’Aulnay, comme une chose qui allait de soi.

Il était lui-même un éclatant démenti à sa propre assertion; mais enfin, dans une certaine mesure, il est vrai que depuis longtemps tout avait concouru à nationaliser parmi nous le genre d’esprit et de caractère qui peut faire un peuple d’administrés au lieu d’un peuple de citoyens.

Et pendant ce temps on oubliait qu’au-dessous des derniers rangs de la bourgeoisie subsistait cette masse énorme de gent corvéable sur laquelle pesait dans toute sa rigueur une oppression traditionnelle. Il était resté des temps féodaux une sorte de rude indifférence pour la population des campagnes, dont M. de Tocqueville retrace