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réveillai. Il me sembla qu’elle était morte hier. Les songes ont les clés de notre passé comme celles de notre avenir. Quand ils le veulent, ils s’en vont chercher les joies et les douleurs de nos années envolées jusqu’au fond des retraites où nous les croyions ensevelies pour toujours. Ils nous ramènent dans toute leur puissance ces souveraines déchues de notre âme, et nous livrent de nouveau à leur empire.

Je voulus en vain me rendormir. J’allumai la bougie placée sur le pliant qui est au pied de mon lit, et je m’efforçai de lire quelques pages de l’Imitation. Je me rappelai ce que j’avais presque oublié : c’est qu’elle m’a initié à ce livre. Elle m’en a donné l’exemplaire qui depuis si longtemps voyage dans mes cantines, mêlé à mes théories et souvent à de bien mauvais romans. Il faut que j’en convienne, j’ai détourné le sens de toutes ces paroles destinées à nous faire connaître la paix mystique; elles sont devenues pour moi l’aliment du feu qu’elles doivent éteindre. Aussi cette prose divine n’a-t-elle fait qu’accroître mon agitation. J’ai essayé alors d’un genre de lectures fort précieuses, suivant moi, aux gens de guerre : j’ai pris un de ces écrivains populaires dont les créations épaisses nous garantissent un moment du souffle inquiet des hautes pensées. Je n’ai pas compris ce que mes yeux parcouraient; j’étais possédé de son souvenir. Je me suis astreint à compter les coups de canon qui ne cessent de retentir du côté de nos tranchées. Elle était plus présente à mon esprit que cette guerre même dont j’entendais la voix. Aussi, quand mes paupières lassées se sont fermées de nouveau, c’est encore elle que j’ai revue. Cette fois rien ne nous séparait. Nous errions ensemble à travers des paysages si attrayans, que leur aspect seul eût suffi à me donner le bonheur. Elle me parlait, et sa voix me jetait bien dans l’ivresse, mais dans une ivresse si paisible, qu’en songeant à ce qu’elle faisait d’ordinaire de toute ma personne, j’éprouvais un profond étonnement. En cherchant ce qu’il y avait de changé en elle, je me souvins qu’elle était morte. Je me décidai alors à l’interroger sur sa condition nouvelle. Elle sourit d’un sourire que je ne lui connaissais pas, et je crus qu’elle allait m’apprendre quelque grand secret, mais je me réveillai pour la seconde fois.

Cette fois je ne me rendormis point. Je vis peu à peu une lumière grise, la lumière d’un jour d’hiver, pénétrer à travers la toile de ma tente et éclairer ma table de bois, mon escabeau, mon bidon, tous les humbles et grossiers objets qui m’entourent. Vers neuf heures, au moment du rapport, un adjudant vint m’avertir qu’un nouvel officier était débarqué le matin même. Ce nouveau-venu, c’était Renaud de Puymarens. Mon songe me fut expliqué. — Elle m’annonçait, pensai-je, l’arrivée de son fils, — et je sentis un frisson dans tout mon