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notre amour, qu’a-t-elle souffert? qu’est-elle devenue? J’ai appris sa mort sous la tente, près d’un bois d’oliviers que je ne pourrais point, je crois, revoir sans défaillance, tant j’y ai laissé de douleur. Son fils ne sait pas ce qu’elle a souffert. Je vois avec bonheur qu’il ignore de quelle manière j’aimais celle dont nous parlons ensemble aujourd’hui. Grâce aux illusions que les enfans conservent souvent vis-à-vis de leur mère, il croit être le seul objet d’affection qu’ait laissé sur cette terre notre morte bien-aimée. A coup sûr, je suis maintenant meilleur que je ne l’étais jadis, car ce qui m’aurait indigné me console. Je souhaite passionnément qu’aux dernières heures de sa vie elle ait retrouvé, s’ils ont pu lui faire quelque bien, les sentimens que j’avais voulu lui ravir. Je suis rempli pour elle d’un amour assurément bien troublé, bien humain dans ses souvenirs, mais calme, mais pur, mais divin dans ses espérances. Que je voudrais pouvoir lui en donner quelque gage éclatant à travers la mort!


26 avril.

Maintenant je connais Renaud tout entier. Depuis tantôt quatre mois je le vois chaque jour, et quand je ne lui aurais pas été uni dès la première heure par ce lien qu’il ignore, je crois que je n’aurais pas tardé à éprouver pour lui une affection toute nouvelle dans mon cœur. Il a ce qui m’a toujours le plus séduit, ce besoin d’attachement, gracieux et fugitif instinct de la jeunesse. Seul maintenant de sa famille, il sentirait partout le prix d’une amitié comme la mienne; que doit-il éprouver dans le pays perdu et dans les redoutables circonstances où ses destinées l’ont placé? A présent, je le sens, je suis ce qu’il aime le mieux ici-bas. Je voudrais le conduire jusqu’au jour cil il rencontrera ce grand amour auquel Dieu a livré le monde, où tous les autres amours sont destinés à s’abîmer; mais irons-nous jusque-là? Je me surprends maintenant à envisager avec tristesse ce que je contemplais depuis longtemps, je puis le dire, avec une grande sérénité; je voudrais à présent pouvoir compter sur quelques années de vie. Quant à lui, je ne puis pas supporter qu’il disparaisse, que je voie s’évanouir cette image de mon passé, cette résurrection, sous des formes si sérieuses et si douces, de tout ce qui a dominé mon cœur. Eh bien ! j’ai peur qu’il ne soit appelé sous peu à quitter ce monde. J’ai vu bien des hommes mourir, et, sans avoir l’esprit livré aux superstitions, je crois à certains signes chez ceux que la mort doit frapper. La mort, quoi qu’on en dise, s’annonce presque toujours à nous; quand ce n’est point par les témoignages matériels de sa présence, par sa main visiblement empreinte sur notre corps qui se décompose et se flétrit, c’est par l’effrayante série de ses