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incrédules. Leur incrédulité, qu’on le remarque bien, n’aura aucun mobile anti-religieux, et proviendra tout simplement de leur fureur d’avoir été dupes. Or les incrédules de M. Conybeare n’appartiennent pas aux classes populaires, ils appartiennent aux classes cultivées, chez lesquelles le spectacle de l’hypocrisie cléricale n’a jamais produit l’incrédulité positive, mais l’indifférence. Quant aux incrédules par perversité, ils sont fort rares heureusement, et leur irréligion n’est pas une cause, mais une conséquence de leur perversité. Il est tout naturel qu’un faussaire ou un bigame n’ait aucune religion, mais il est rare que de tels hommes prennent la précaution de se débarrasser de toute notion religieuse avant de se livrer à la pratique de leurs vices. La perversité précède toujours l’irréligion. Un incrédule n’est pas nécessairement un pervers, mais un pervers est tout naturellement un incrédule, à moins pourtant qu’il ne préfère être un hypocrite.

L’auteur de Perversion a oublié une quatrième catégorie de sceptiques et d’incrédules, la plus intéressante et celle qui est particulière à notre époque. Le scepticisme contemporain est surtout et avant tout un scepticisme de lassitude. Les violentes péripéties, les changemens rapides et subits, les actions et les réactions politiques, en déconcertant à chaque instant nos espérances ou nos craintes, ébranlent et déracinent nos croyances et nos convictions. Il n’est personne dont la foi ne soit ébranlée, lorsque cette foi est impuissante à lui donner le sens des événemens et à lui fournir des armes pour les combattre ou les défendre. Or ce phénomène se passe à toute heure ; jamais notre foi ne se tient pour ainsi dire en équilibre. Chaque jour nous sommes obligés, selon notre humeur et notre caractère, de relâcher ou de resserrer nos croyances, — de les relâcher, si nous sommes portés à la tolérance, — de les resserrer, si nous sommes plutôt portés à l’obstination. Je ne songe point à m’étonner lorsque je vois qu’en présence du spectacle contemporain un protestant va droit au millenium, et qu’un catholique remonte hardiment jusqu’au XIIe siècle. Ces écarts et ces excès de l’esprit me semblent parfaitement logiques et explicables par des causes beaucoup plus élevées que le fanatisme du tempérament ou le dérangement cérébral. Pourquoi donc, s’il en est ainsi, songerais-je à m’étonner que ce même spectacle des choses contemporaines produise chez d’autres esprits le relâchement de doctrine qui est connu sous le nom de scepticisme ? C’est le même phénomène qui s’accomplit et chez le sceptique et chez l’ultra-catholique ou l’ultra-protestant. À ces embarras de conscience, nés des inextricables difficultés dans lesquelles notre siècle est enveloppé, ajoutez le trouble inévitable que jettent dans l’esprit l’incroyable diversité des doctrines et les nouveautés