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à notre esprit un certain ensemble de parties — déterminées quant à leur nombre et à leurs relations — nécessaires pour former le tout, l’individu. Qu’une seule de ces parties vienne à se multiplier ou à se transposer, et nous constatons tout de suite l’anomalie. Qu’une seule vienne à manquer, et sur-le-champ nous reconnaissons que le tout, que l’individu n’est pas complet. Cette appréciation se traduit souvent jusque dans le langage, et de là ces expressions de monstre, de borgne, de manchot, etc., qu’on retrouverait peut-être dans toutes les langues. Ce que nous venons de dire de l’homme et de quelques animaux bien connus de tous nos lecteurs s’applique à une infinité d’autres espèces. Un naturaliste reconnaîtra du premier coup d’œil qu’il manque à un insecte une aile ou une patte, à un mollusque un tentacule, à une astérie un de ses rayons, à une méduse un de ses filamens ; pour lui, ce seront autant de touts ayant perdu quelqu’une de leurs parties,. autant d’individus incomplets. Que ces mêmes organes soient plus nombreux qu’à l’ordinaire, que leurs rapports soient quelque peu changés, et le naturaliste jugera qu’il a devant lui des individus monstrueux.

Mais ce même naturaliste, placé en face d’un pied de corail ou d’une plaque d’ascidies composées quelque peu mutilée, ne pourra plus se prononcer comme il le faisait tout à l’heure, à moins que des traces de cassure, de déchirure, etc., ne trahissent un accident arrivé à l’objet qu’il examine. Quelque nombreuses que soient les branches du corail ou des figures géométriques dessinées par les ascidies, le savant le plus sévère ne verra ici rien de monstrueux. De ce fait seul, on pourrait conclure que le polypier, que la plaque, ne sont pas des individus, malgré la forme générale qui les caractérise et permet souvent de distinguer à première vue les diverses espèces. Une observation attentive confirme, on le sait, cette conclusion. Dans les deux cas, on reconnaît la présence d’un grand nombre d’êtres dont l’agrégation constitue l’ensemble. Or chacun de ces êtres présente des conditions identiques à celles que nous trouvons chez l’homme lui-même. : il se compose de parties dont le nombre et les rapports sont déterminés. Chacun d’eux est donc un animal, un individu distinct. Le polypier, la plaque, ne sont que des agrégations. Ce sont pour ainsi dire des villages ou des villes dont les polypes sont les habitans et les loges, les maisons. L’on comprend qu’habitans et maisons peuvent se multiplier ou diminuer sans rien changer au fond des choses, à peu près comme Paris et Constantinople restent ce qu’ils sont dans le monde en dépit d’une épidémie ou d’une exposition, et bien que l’un étende chaque jour ses faubourgs, tandis que l’autre brûle les siens de temps en temps.

Ces idées, depuis longtemps admises en zoologie, ne sont entrées