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« Le corps expéditionnaire se mit en marche vers le milieu du jour. Le ciel était pur ; le soleil éclairait les cimes neigeuses des montagnes environnantes. On s’arrêta vers le soir au bord d’un torrent ; la troupe mit les armes en faisceau. Toutes les physionomies respiraient une sérénité parfaite, et pendant que les officiers, le capitaine Rosenkrantz en tête, dégustaient promptement à l’écart quelques bouteilles de Champagne, les soldats causaient gaiement entre eux. On se remit en marche pour une forteresse voisine qu’habitait le général commandant le district.

À peine avions-nous franchi le seuil de la forteresse, que j’entendis rouler derrière moi une voiture. Je me retournai ; c’était un équipage fort élégant, et j’y aperçus une femme habillée à la dernière mode. Plus loin, le son d’un piano frappa mon oreille. Plusieurs femmes en robes de soie passèrent à côté de moi, et des officiers dont la tournure eût été enviée par maint habitué des boulevards de Saint-Pétersbourg se promenaient fièrement sur la place d’armes. J’entrai chez un de mes amis, aide-de-camp du général commandant le district, militaire de salon qui était venu cueillir de faciles lauriers dans les montagnes du Caucase. Au moment où je lui expliquais mon arrivée, la voiture que j’avais rencontrée s’arrêta à la porte de la maison.

« — Excusez-moi, me dit-il, il faut que j’aille annoncer l’arrivée de la comtesse.

Il me quitta ; le général parut bientôt sur le seuil de la porte. C’était un fort bel homme, décoré de plusieurs ordres, et dont la tournure annonçait un homme du meilleur monde.

« — Bonsoir, madame la comtesse, dit-il en français en tendant la main à la jeune femme.

« Ils causèrent pendant quelques instans, et en prenant congé de la comtesse, le général lui dit galamment : — Vous savez que j’ai fait vœu de combattre les infidèles ; prenez garde !

« — À demain ! répondit-elle en riant. N’oubliez pas que je vous attends pour la soirée de demain. »


Le soir même, vers neuf heures, le détachement repartit sous les ordres de ce nouveau commandant. Il s’agit de surprendre un aoul ennemi, et les précautions qu’exige une pareille tentative donnent un grand intérêt à cette partie du récit. À quelques kilomètres de la forteresse, une lueur tremblante éclaire tout à coup la cime de quelques montagnes et disparaît. « Que signifient ces feux ? — demande le narrateur à un Tatare qui marchait auprès de lui. — Ce sont les signaux des montagnards. — Ils savent donc que nous nous avançons ? — Oui, certainement, o La tentative n’en réussit pas moins à souhait ; l’aoul est saccagé en un tour de main. L’ennemi se retire et échange à peine quelques coups de feu avec les Russes. « Quel charmant coup d’œil ! — dit le général en français à un major qui l’avait accompagné. — Charmant, répondit celui-ci. C’est un vrai plaisir de faire la guerre dans un si beau pays. » La troupe ne ramène