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dent avec honneur, venait d’arriver pour conférer avec le gouvernement français au sujet du transit sur le Mississipi ; on lui proposa l’acquisition même de tout ce vaste pays. Il prit sur lui d’accepter, sauf ratification, et le traité fut signé moyennant 15 millions de dollars ou 80 millions de francs. Après déduction d’une somme d’environ 20 millions, destinée à indemniser le commerce américain des captures faites sur mer injustement par la marine militaire de la France pendant la dernière guerre, et d’environ 6 millions pour commission ou escompte, ce fut pour le trésor un supplément de 54 millions.

Par cet ensemble de moyens, et grâce à l’économie rigoureuse par laquelle s’est toujours signalé le gouvernement de Napoléon, il devenait possible, non-seulement de couvrir les dépenses de l’an xi, mais aussi de parer à celles de l’an xii, qui allaient monter plus haut, car c’est en l’an xii que la construction de la flottille de Boulogne fut le plus vivement poussée.

Confiné dans ses fonctions de directeur général de la caisse d’amortissement, M. Mollien ne prit aucune part aux différens arrangemens que je viens de rappeler ; mais il eut avec le premier consul une suite d’entretiens intéressans. Le premier consul avait profité de la paix pour envoyer à Saint-Domingue une expédition destinée à y rétablir l’autorité de la France. Quand il eut lieu de croire que la guerre allait recommencer, il lui revint à l’esprit qu’une foule de navires de commerce étaient en mer chargés d’approvisionnemens et de marchandises diverses pour cette destination ; d’autres couraient les mers dans toutes les directions. Or les habitudes auxquelles jusque-là le cabinet anglais s’était montré trop fidèle, et dont la violence contraste avec l’esprit de modération dont nous le voyons animé présentement, autorisaient à penser qu’avant aucune déclaration de guerre les frégates de la marine britannique courraient sus aux bâtimens français. Napoléon aurait donc voulu qu’on insinuât à nos armateurs de faire assurer leurs navires avec les cargaisons par les compagnies anglaises, et il consulta M. Mollien sur les moyens de lancer l’insinuation sans qu’elle parût venir du gouvernement. M. Mollien n’eut pas de peine à lui faire comprendre que quelque adresse qu’on y mît, quelque détour qu’on prît, le commerce verrait aussitôt la portée de l’avis, et que l’effet immédiat serait une panique. Le premier consul se rangea à l’opinion de M. Mollien, et ne continua l’entretien que pour se faire renseigner en détail sur le mécanisme et les effets des assurances maritimes. Je mentionne ici la conversation à cause d’un trait particulier par lequel se révèle une des dispositions que Napoléon apportait aux affaires.

Le premier consul, en énonçant l’idée de faire assurer les navires