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pour le remboursement les meilleures garanties, tandis qu’un signe suffisait à Pilt pour obtenir des trésors. Dans un moment d’épuisement général, Pitt ayant fait un appel à la nation, une souscription nationale lui avait livré en moins d’une heure et demie 450 millions de francs[1]. Un tel rapprochement donne la clé de certaines paroles de Napoléon et de certains de ses actes. On comprend comment, dans l’entretien avec M. Mollien, que je viens de mentionner, au sujet des assurances maritimes, il lui parle, avec l’amertume d’une grande âme blessée, des négocians qui ne prêteraient pas une obole au gouvernement, tout en exposant leur fortune aux plus grands hasards.

Les opinions de M. Mollien, qui avait, lui, le sentiment le plus élevé et le plus avancé des droits de la propriété et du respect qu’elle mérite, lors même que le propriétaire serait personnellement peu intéressant, venaient ainsi se heurter contre des préventions fortement enracinées dans la pensée et même dans le sentiment de Napoléon. De là pour M. Mollien un labeur continuel, une lutte toujours renouvelée. Il ne parvint pas à changer l’opinion de Napoléon, ni à détruire ses antipathies ; mais dans la pratique, presque toujours il obtenait à la longue qu’il se relâchât de ses rigueurs.

Les comptes-rendus successifs de la caisse d’amortissement augmentaient la considération dont jouissait M. Mollien auprès du public et la haute opinion qu’en avait Napoléon. Le compte de l’an x constata que l’établissement avait pendant cet exercice doublé par de nouveaux achats sa propriété en 5 pour 100, et que, malgré la modicité de sa dotation et l’éventualité de ses ressources, il avait pu, dans l’intervalle de moins de trois années écoulé depuis sa création, racheter près du trentième de la dette constituée. Les résultats de l’an XI furent plus satisfaisans encore. La caisse possédait, à la fin de cet exercice, plus de 3 600 000 francs de rente 5 pour 100. C’était le quatorzième de la dette publique. Elle était parvenue à réaliser des créances désespérées, dont le trésor jusque-là n’avait pu rien faire ; elle servait avec une exactitude exemplaire l’intérêt des cautionnemens. Cet intérêt était compté presque toujours à domicile

  1. C’était à la fin de 1796. La situation intérieure de l’Angleterre était critique. Une révolte formidable avait éclaté sur la flotte. La banque d’Angleterre était à bout de ressources. Aucun des banquiers de la Cité n’aurait osé se charger de la négociation d’un emprunt. Il fallait pourtant 18 millions sterling (450 millions de francs). Le gouvernement fit alors un appel au patriotisme des particuliers pour la souscription d’un emprunt de cette importance, à des conditions médiocrement avantangeuses. Le lundi 5 décembre, à dix heures, les portes de la banque furent ouvertes et des registres placés dans la salle ; à onze heures vingt minutes, le montant de 18 millions sterling était atteint, et les souscripteurs arrivaient toujours. Voyez l’intéressant écrit de M. William Newmarch : On the Loans raised by M. Pitt, during the first french war, page 16.