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aux parties prenantes, dont le nombre n’était pas de moins de trente-trois mille. Enfin elle avait remboursé les emprunts dont elle s’était aidée pour solder les achats de 5 pour 100 ordonnés par le premier consul au moment où la paix d’Amiens fut rompue. L’opération mérite qu’on s’y arrête ; elle montre ce qu’étaient les rapports de M. Mollien avec Napoléon.

Lorsque la saisie des navires français en pleine mer, sans déclaration de guerre préalable, eut appris au public que la rupture avec l’Angleterre était définitivement consommée, on dut s’attendre à une forte baisse des fonds publics, comme toujours quand la guerre survient à peu près inopinément. Les spéculateurs à la hausse, qui avaient acquis plus de rentes qu’ils n’en pouvaient payer, étaient cruellement désappointés. Ils firent parvenir leurs doléances jusqu’au premier consul : quelques-uns d’entre eux étaient parmi ses alentours ; ils représentèrent qu’ils n’avaient eu en vue que le bien de l’état et l’intérêt du gouvernement, que le gouvernement ne devait pas les abandonner dans leur déconvenue, que pour lui c’était une question d’honneur. Le premier consul était fort sensible à tout ce qui touchait à l’honneur du gouvernement, d’ailleurs l’idée qu’il avait de l’étendue des attributions légitimes de l’état était telle qu’il devait juger naturel d’intervenir en pareille matière. 11 fit donc venir M. Mollien, et avec cette abondance de raisons qu’il savait toujours trouver, et qu’il déduisait dans un langage coloré de manière à convaincre ou à éblouir ses auditeurs, quels qu’ils fussent, il lui exprima la volonté que la caisse d’amortissement agît puissamment, afin de soutenir le 5 pour 100 à la cote relativement élevée qu’il avait obtenue pendant la paix. Il s’appuyait particulièrement de l’intérêt du commerce, déjà bien éprouvé par les méfaits des corsaires anglais. M. Mollien lui fit remarquer que le commerce, et surtout la classe qui se livrait aux opérations maritimes, n’avait guère de rentes sur l’état. « Si les intéressés dans le 5 pour 100 ne sont pas des commerçans, répliqua le premier consul, ils sont au moins des Français, et le gouvernement leur doit secours. » Puis il demanda de quelle somme M. Mollien aurait besoin pour retarder la baisse de huit jours au moins. La réponse fut que, selon toute vraisemblance, plusieurs dizaines de millions n’y pourraient suffire. Surprise du premier consul, insistance de M. Mollien. Bref, le directeur général de la caisse d’amortissement reçoit l’ordre de consacrer à soutenir le 5 pour 100 quatre millions à la prochaine bourse, et pareille somme chacun des deux jours suivans. Douze millions alors, c’était une somme énorme ; mais l’ordre était impérieux. « Point d’objection, avait dit Napoléon ; si ces fonds ne sont pas à votre disposition, il faut les trouver. J’écris au ministre des finances et au ministre du trésor ; voyez-les