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que M. de Barbé-Marbois avait trouvés sur son chemin étaient peu ordinaires ; mais il avait été mal inspiré dans ses tentatives pour les surmonter. Avec un budget des recettes qui était insuffisant, et le peu de ressources qu’il avait dans l’esprit, il pouvait faire honneur à la totalité des ordonnances par lesquelles les autres ministres disposaient des crédits qui leur étaient ouverts, et il suffisait qu’un certain nombre de ces titres ne fussent pas acquittés au terme qui leur était propre pour qu’ils fussent tous atteints d’un discrédit. Peu après la rupture de la paix d’Amiens, les ordonnances des ministres sur le trésor subirent une dépréciation plus grande qu’auparavant, parce que les entrepreneurs des services étaient payés avec plus d’irrégularité ; même lorsqu’elles n’avaient plus que très peu de jours à courir, elles étaient offertes à perte. Informé de ce fait par M. Mollien, M. de Barbé-Marbois montra le plus grand étonnement et refusa d’y croire. Pour l’en convaincre, il fallut que M. Mollien en rachetât pour le compte de la caisse d’amortissement une certaine quantité. La dépréciation des ordonnances était accompagnée de celle des obligations des receveurs-généraux, non que la caisse d’amortissement eût cessé de les garantir et de les payer en cas de protêt, mais le ministre du trésor, n’ayant pas de ressource meilleure et se voyant obligé de faire de l’argent, en répandait ou en laissait répandre sur la place plus que celle-ci n’en pouvait supporter. En cela, les intentions de M. de Barbé-Marbois étaient outrepassées à son insu, ainsi qu’on le verra dans un instant. Le discrédit des obligations s’étendait, par la même raison, aux bons à vue.

Le remède eût consisté à négocier un emprunt ; après tout, il n’eût pas été difficile alors au gouvernement français de trouver, avec le concours des capitalistes hollandais et de ceux des villes anséatiques ou de Francfort, 100 millions et plus par cette voie ; mais Napoléon avait l’emprunt en aversion. Il ne pouvait écarter de devant ses yeux l’abus qui en avait été fait sous l’ancien régime, les scandaleux manques de foi dont le trésor royal avait donné le spectacle pour s’être obéré de dettes. L’école financière d’avant la révolution réprouvait l’emprunt. Colbert lui-même, avec l’étendue et la supériorité de ses vues, y était énergiquement opposé, sans doute parce que, connaissant le penchant de Louis XIV à la prodigalité, il comprenait que ce prince, une fois lancé dans les emprunts, s’y livrerait éperdument et en abuserait jusqu’à ruiner l’état, et qu’avec lui l’usage du crédit public serait non pas le moyen d’éviter l’exagération de l’impôt, mais au contraire l’occasion de le porter au-delà de toute mesure. Lorsque dans la guerre de Hollande le président Lamoignon, que Louis XIV avait fait appeler pour départager Louvois, qui voulait emprunter à outrance, et Colbert, qui se refusait aux em-