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échange de la remise qu’elle leur faisait d’effets recouvrables sur leurs places. Par contre, les messageries qui s’éloignaient de Paris, retournaient chargées de sommes égales à celles qu’elles avaient apportées, car les départemens redemandaient aussitôt des écus pour remplacer ceux qu’on venait de leur ravir. De cette façon, le numéraire métallique manquait partout, excepté sur les grandes routes. Au contraire M. Mollien, grâce à l’esprit d’observation qui lui était propre, s’était sans effort procuré tout l’argent dont la caisse d’amortissement pouvait avoir besoin. Dans la foule d’effets à terme que les faiseurs de service négociaient pour le compte du trésor public, il avait choisi de préférence, pour l’emploi de ses fonds libres, les obligations des receveurs-généraux des départemens de Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Eure-et-Loir et Oise ; ces départemens, approvisionnant Paris de denrées de toute sorte, en recevaient du numéraire métallique en grande quantité, et en possédaient un excédant qu’il était aisé de reprendre.

La caisse d’amortissement fut ainsi en mesure de continuer le service de l’intérêt des cautionnemens en écus, d’offrir de l’argent à ceux de ses créanciers qui refusaient les billets de banque, et d’accepter de ses débiteurs ces mêmes billets au pair, alors que sur la place ils étaient en perte de 10 pour 100 et plus.

Les embarras du trésor contribuèrent à la détermination que prit l’empereur de conclure rapidement la paix avec l’Autriche et de traiter l’empereur de Russie avec une magnanimité dont ce prince aurait pu se souvenir quand la changeante roue de la fortune l’eut rendu à son tour l’arbitre des destinées, en 1814. L’empereur se hâta de rentrer à Paris. Il avait écrit à M. de Barbé-Marbois de se tenir prêt à rendre compte de ce qui s’était passé. Il avait même eu un instant l’intention de le faire arrêter. Arrivé le 25 janvier dans la nuit, il convoqua pour le 26 à huit heures du matin un conseil de finances qu’il composa des deux ministres des finances et du trésor, de M. Mollien et de deux conseillers d’état, MM. de Fermon et Cretet. Il permit à peine qu’on lui adressât quelques mots sur une campagne si promptement et si glorieusement terminée. « Nous avons, dit-il, à traiter des questions plus sérieuses : il paraît que les plus grands dangers de l’état n’étaient pas en Autriche. Écoutons le rapport du ministre du trésor. » M. de Barbé-Marbois commença en effet la lecture d’un rapport écrit. Il était calme, ainsi qu’il convient à un homme à qui sa conscience ne reproche rien. L’empereur le laissa lire pendant plusieurs heures ; mais enfin, à bout de patience, il l’interrompit en s’écriant : « Ils vous ont trompé, ils ont abusé de votre droiture, à laquelle je rends justice. Ils n’ont gagné la confiauce de l’Espagne qu’en lui livrant les fonds qu’ils ont pris