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renoncer à la direction de l’administration publique, prenait cependant moins de part aux détails. La caisse de service, dans sa correspondance avec les comptables, suivait les règles de la comptabilité commerciale ; c’était le seul moyen qu’elle eût de comparer tous les jours ses différens comptes, de les balancer et de faire connaître quotidiennement sa situation au ministre, qui commençait par là sa journée régulièrement. Il n’en fallait pas davantage pour que les receveurs-généraux, afin d’observer dans leurs rapports avec la caisse de service les formes qu’elle avait adoptées elle-même, la pratiquassent chez eux, en même temps cependant qu’avec les anciens bureaux ils suivaient l’ancienne méthode. L’expérience leur révélait chaque jour les avantages du nouveau système. Le terrain était donc parfaitement préparé pour la transformation.

Mais il fallait que ce fût officiellement établi, et en un mot que la comptabilité en partie double devînt par un décret une règle générale et immuable dans les finances. Pour un changement de cette importance, l’assentiment explicite de l’empereur était indispensable. M. Mollien avait pu constater que spontanément les plus distingués entre les receveurs-généraux, ceux dont la gestion était la meilleure, s’étaient mis en possession de ce mode de comptabilité. Il avait même fait une contre-épreuve bien propre à affermir sa conviction : quelques indices peu importans en apparence lui donnaient à soupçonner que la recette générale de la Meurthe n’était pas régulièrement administrée, quoique le titulaire fût un des comptables dont ses bureaux l’entretinssent avec le plus d’éloges. Il s’était aperçu d’ailleurs que ce receveur-général montrait de l’éloignement pour la comptabilité en partie double. Il envoya auprès de lui un des plus habiles parmi les inspecteurs des finances. À celui-ci on présente des comptes sous l’ancienne forme. Après les avoir compulsés et les avoir comparés aux bordereaux envoyés par le comptable au trésor, il écrit au ministre que tout est en règle. « Prenez-vous-y autrement, répond M. Mollien ; traduisez les comptes qu’on vous a livrés, mettez-les sous la forme de la partie double : alors seulement vous y verrez clair. » À peine la besogne est-elle commencée, que les commis du receveur-général se troublent, confessent l’infidélité des écritures apparentes et produisent des écritures secrètes qu’ils tenaient en partie double ; ils aident eux-mêmes l’inspecteur des finances à constater un débet envers l’état de 1 700 000 francs, dont l’origine remontait à huit années. Des recherches du même genre furent faites chez d’autres comptables et mirent au jour des manquemens pareils. On découvrit ainsi des débets non-seulement chez plusieurs receveurs-généraux, mais aussi chez un assez grand nombre de receveurs particuliers et de payeurs ; finalement, mais postérieurement à l’époque dont nous parlons, il fut prouvé que l’ensemble de ces détournemens n’allait