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c’est parce qu’il a été ainsi un novateur qu’il a pu fonder une dynastie.

Les discours de l’empereur contre les novateurs amenèrent un incident personnel à M. Mollien, que je ne puis ici passer sous silence. Napoléon avait l’habitude de prendre ses libertés avec ses collaborateurs ; il ne leur ménageait pas la critique directe et personnelle, quand il croyait en avoir trouvé le lieu. M. Mollien l’avait remarqué dès le premier jour où il se trouva en sa présence, à l’occasion d’autrui. Quant à lui-même, très rarement il fut l’objet de ces réprimandes ; sa tenue et sa conduite commandaient des égards que l’empereur observait avec soin. Cependant, à l’époque dont nous parlons, il lui sembla qu’il était pris à partie personnellement, avec insistance, parce que l’empereur se laissa aller plusieurs fois en sa présence à ses épanchemens contre les novateurs, et même en parlant à M. Mollien il lui arriva d’employer des expressions telles que celles-ci : Vous autres idéologues. En l’absence de son ministre du trésor, il répétait qu’il était de la secte des novateurs ; il ajoutait, à la vérité, qu’on se trouvait assez bien des innovations qu’il avait faites. M. Mollien, étant le seul des ministres qui innovât, s’inquiéta de ces discours de l’empereur. Napoléon, il le savait, ne disait jamais rien sans intention, lors même qu’il paraissait entraîné par le coûtant de ses idées. Après une séance du conseil d’état où l’empereur avait plus encore qu’à l’ordinaire donné carrière à son humeur contre les nouveautés et ceux qui les patronaient, il tint pour certain que les critiques et les sarcasmes de l’empereur étaient à son adresse. Il lui écrivit donc une lettre respectueuse où il lui demandait si les préventions qu’il manifestait contre les innovations s’étendaient à ce qui avait été fait de neuf dans les finances depuis 1806. L’empereur lui répondit : « Je ne comprends rien à votre lettre ; je serais fâché que vous pussiez penser que ce que j’ai dit au conseil pût vous concerner en aucune manière. J’aurais droit de me plaindre de cette injustice de votre part ; je ne veux pas le faire, puisqu’elle m’offre une nouvelle occasion de vous assurer du contentement que j’ai de vos services, et de l’intention où je suis de vous donner une preuve éclatante de mon estime[1] ».

Peu de temps après, l’empereur lui envoyait un de ces grands cordons que les puissances mettaient à sa disposition, et il y joignait un mandat de 300 000 fr. sur la caisse de l’extraordinaire. Ce fut le principal fondement de la modeste fortune que nous avons connue à M. Mollien. Presque tout le reste, qui consistait en une dotation en pays étranger, a été englouti dans le désastre de 1814.

  1. Cette lettre est du 7 septembre 1807.