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de Monroë et l’exclusion de toute intervention européenne dans les affaires de l’Amérique, on distinguait surtout M. Pierre Soulé, Français d’origine, comme on sait, et qui, par son éloquence, fort supérieure à celle des pesans et verbeux orateurs yankees, s’est acquis une si grande influence dans le sud des États-Unis. « On prétend, disait-il, que nos intérêts ne sont pas liés à ceux de la politique européenne, et que nous devrions nous borner à étendre nos relations commerciales avec les pays étrangers sans nous mêler de leurs affaires politiques. — Oui, monsieur, j’en conviens, si nous pouvons les séparer les unes des autres; mais cela n’est pas possible. Les intérêts commerciaux sont et doivent être nécessairement mêlés aux intérêts politiques. La question n’est pas de savoir comment vous pourrez éviter ce mélange, car ils se mêleront malgré vous, ils défieront toute votre prudence, ils mettront en défaut votre diplomatie; la question, c’est de savoir comment vous les réglerez sans danger pour le maintien de votre paix et de votre prospérité. Vous ne pourriez pas, même quand vous le voudriez, vous isoler entièrement de l’Espagne, de l’Angleterre ou de la Russie. Elles sont là, attachées à vos flancs. Supposons un moment que l’Espagne veuille céder Cuba à tout autre gouvernement que le nôtre : demeurerons-nous immobiles? Supposons que l’Angleterre veuille exercer, plus ouvertement qu’elle ne le fait à présent, sa dictature sur les républiques de l’Amérique centrale : demeurerons-nous immobiles? Supposons que la Russie remette en vigueur son ukase de 1821, qu’elle étende le cercle des prohibitions qu’elle a eu l’audace de tracer autour d’elle, et qu’elle nous exclue entièrement des eaux septentrionales de l’Océan-Pacifique : demeurerons-nous immobiles? Non, nous ne le ferons pas, nous ne pouvons pas le faire. Ce n’est pas tout : supposons que l’Angleterre se laisse persuader de se joindre à une coalition européenne, et qu’elle entre dans un autre système continental; quels avantages l’Europe pourrait-elle lui offrir qui ne fussent ruineux pour nos intérêts? Un nouveau Pozzo di Borgo ne pourrait-il pas par hasard insinuer au cœur d’un tsar insensé l’idée suggérée déjà en 1817, de subjuguer les États-Unis afin de protéger le monde contre le poison de leurs institutions? »

Il y a dans ce discours de M. Soulé une hypocrisie patriotique que recouvre mal l’éloquence de l’un des orateurs les plus populaires des États-Unis. M. Soulé sait parfaitement que ni la liberté ni l’indépendance des États-Unis ne peuvent être menacées. Est-ce d’ailleurs un moyen de les défendre que d’attaquer les états trop faibles? Vous les sauvez des Anglais, dites-vous : c’est peut-être vrai; mais qui empêche les Anglais d’entrer à leur tour au Nicaragua pour le sauver de vos mains? Et parmi des sauveurs si acharnés, que de chances n’y a-t-il pas pour que le malheureux Nicaragua devienne la proie de l’un ou de l’autre?

Pendant que l’on armait publiquement pour sa cause, Walker éprouvait de sérieux embarras à se maintenir dans sa conquête. Déjà l’action du climat se faisait sentir sur sa petite troupe. Le Nicaragua est malsain.