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Les chefs mêmes du parti démocratique du sud, qui s’étaient d’abord montrés pleins de zèle, se refroidirent sensiblement. Le général Cass refusa, sous prétexte de santé, d’assister au meeting tenu en faveur de Walker. Les autres hommes politiques les plus importans se tinrent à l’écart. On le voyait perdu, et personne parmi les Yankees n’a de compassion ou de sympathie pour celui qui échoue. En même temps le Guatemala, le Honduras, le San-Salvador, encouragés par les revers de Walker, formèrent une ligue contre lui. La saison trop avancée a suspendu les hostilités, mais elle a donné à ses ennemis le temps de se réunir, de se compter, de voir leur supériorité, à ses amis celui de se décourager. Vainement le père Vijil, moine nicaraguan, qu’il a envoyé à Washington, obtint du gouvernement fédéral la reconnaissance de son gouvernement; cette concession, faite trop tard et dans le dessein d’assurer la réélection du président Franklin Pierce, n’a pu couvrir la faiblesse réelle de Walker. M. Pierce lui-même s’en est repenti avec sa légèreté et son inconséquence habituelles; il a fait prier le père Vijil de retourner au Nicaragua, et l’envoyé de Walker, voyant bien qu’il n’y avait rien à attendre ni du gouvernement fédéral ni des simples particuliers, est parti sans regret et sans espérance. Les dernières dépêches du Nicaragua sont pleines d’obscurité. D’un côté, Walker a été élu président à l’unanimité, comme on devait s’y attendre; de l’autre, Patricio Rivas, son prédécesseur, a pris les armes contre lui, l’a chassé de Léon, et tient la campagne avec quinze cents hommes. Qu’on joigne à cela le manque d’argent et de renforts, l’alliance des quatre autres états de l’ancienne confédération guatémalienne, dont les troupes s’avancent en ce moment même dans le Nicaragua, l’hostilité de l’Angleterre, l’indifférence des États-Unis, et l’on conclura avec nous que si la ruine de Walker n’est déjà consommée, elle paraît au moins imminente.

Qu’il vive ou qu’il meure, peu importe. De tels héros sont célèbres, honorés, glorieux, tant qu’ils ont pour eux la force, car la force est toute-puissante et admirable. La force est vraie, la force est équitable; elle est sensée, judicieuse; elle a du génie, du bonheur, et même de la vertu. C’est la seule divinité qui ne se trompe jamais. Que ceux qu’elle tient par la main et qui n’ont foi qu’en elle ne la quittent pas! Plus ils tombent de haut, plus leur chute est mortelle. L’histoire ramasse leurs débris avec mépris et dégoût et les jette à la postérité. Avant peu, Walker en fournira peut-être un éclatant exemple. Quoi qu’il arrive, ne désespérons pas de l’avenir du Nicaragua. Aux États-Unis, les plus honnêtes gens, sans approuver en principe la conduite de Walker, croient la justifier en disant que l’arbre, quoique mauvais, portera de bons fruits; que la race hispano-américaine est indolente, sans capitaux, sans intelligence et surtout sans énergie; que l’invasion de Walker lui donnera une vie nouvelle; qu’après ces aventuriers, qui ne connaissent que le revolver et le bowie-knife, viendra la masse des émigrans laborieux, industrieux, soumis aux lois. Il faut, disent-ils, que ce continent s’ouvre pour