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les écrivains qui veulent dire au public ce qu’ils en pensent se croient obligés de réfléchir et même d’étudier. Quand il s’agit d’une pièce de théâtre, l’étude et la réflexion sont considérées comme des soins superflus. Les exceptions qu’on pourrait citer sont trop peu nombreuses pour infirmer l’opinion que j’exprime ici. La critique dramatique est aujourd’hui une industrie très active, mais qui ne prend pas grand souci de la pensée. Obligée, par les traditions de la presse, de donner son avis à jour fixe, elle se contente d’amuser et se dispense d’instruire. Pourvu qu’elle se montre spirituelle, le public est satisfait. Il ne faut donc pas s’étonner que la critique dramatique ne tente rien au-delà de l’amusement. Le compte-rendu hebdomadaire de toutes les pièces représentées sur les théâtres de Paris est une espèce de canonicat où s’engourdissent au bout de quelques années les esprits les plus alertes. Placés dans une autre condition, les écrivains qui s’appliquent à nous divertir auraient peut-être essayé de laisser dans notre souvenir une trace durable et profonde. Largement rémunérés pour un travail facile en apparence, mais fastidieux à tout homme qui n’aime pas à parler sans rien dire, ils se font beaux diseurs et ne connaissent ni le doute ni l’hésitation. Si leur esprit n’est pas toujours prêt, leur parole est toujours prête. Et pour bien des lecteurs, je me hâte de le reconnaître, savoir parler en toute occasion, à toute heure, est à peu près la même chose qu’avoir un avis sérieux sur toutes les questions qui peuvent se présenter.

La critique dramatique n’est peut-être pas paresseuse par nature; elle se plie aux habitudes des lecteurs : je consens même à croire que la résignation entre pour une bonne part dans ses procédés. Dans la crainte de n’être pas écoutée, elle ne dit pas tout ce qu’elle pourrait dire. Elle se fait frivole pour des lecteurs qu’elle ne juge pas capables d’une attention sérieuse. Je ne dis pas qu’elle se trompe tout à fait; je pense pourtant qu’elle se résigne trop facilement, qu’elle exagère le danger pour simplifier sa tâche. Les lecteurs, malgré leur indolence naturelle, obéissent à leur insu à la volonté de l’écrivain dont ils recueillent la pensée : ils aiment sans doute qu’on ait l’air de consulter leur goût, mais ils deviennent attentifs et dédaignent les jeux puérils du langage dès qu’ils se trouvent en face d’une pensée clairement exprimée, de quelque nature qu’elle soit. La critique dramatique sait d’ailleurs à quoi s’en tenir sur l’importance qui lui est attribuée. Il n’y a guère que les directeurs qui s’inquiètent des jugemens prononcés chaque semaine sur les pièces de théâtre; les auteurs n’en prennent pas grand souci : quant au public, il ne cherche dans les comptes-rendus hebdomadaires qu’une pâture à sa curiosité. L’histoire, la philosophie, le roman, la poésie