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que les villes ; je résolus de pénétrer dans les couvens, de visiter les Carpathes, où se groupe de préférence la population monastique. Une excursion dans ces montagnes devait compléter l’ensemble de notions qui me permettrait de porter un jugement précis sur les besoins et les intérêts des principautés.

Mon excursion fut rapide, mais fertile en curieux souvenirs. Je me rendis d’abord à Giurgevo. J’étais là tout près de Roustchouk, et je voulus voir Saïd-Pacha, le dernier rouméli-valessi de la Turquie et l’un des plus riches propriétaires de l’empire. Saïd-Pacha descend des khans de Tartarie. Malgré sa grande fortune, il habitait à Roustchouk un konah ou hôtel qui tombait en ruines. Saïd-Pacha est un vieillard d’un abord froid, mais d’une politesse empreinte d’une simplicité noble. Il menait la vie la plus monotone, et sa plus grande distraction, après les affaires, était de parcourir ses fermes et de visiter ses grands troupeaux de bœufs, de moutons et de chevaux. Les goûts de l’Asiatique et du nomade n’avaient pas disparu chez le haut fonctionnaire ottoman.

En descendant le Danube, je fus frappé de la distance qui existe entre les piquets des soldats valaques destinés à garder le littoral de la principauté ; il était difficile que la surveillance fût moins efficace. Les soldats valaques qui gardent le littoral ou les îles du Danube sont logés dans des corps de garde élevés, comme des colombiers, sur quatre gros pieux baignés souvent par les eaux du Danube, ou se dressant au milieu de roseaux qui atteignent les fenêtres mêmes du poste. À l’approche des voyageurs, des troupes d’oiseaux aquatiques sortent de ces roseaux : l’oie, le canard sauvage, le pélican, attirent par leur vol puissant l’attention du chasseur ; mais les pauvres soldats des piquets se livrent peu à la chasse : ils ont assez à faire pendant la nuit, et quelquefois pendant le jour même, de se défendre contre les énormes cousins du Danube, dont la piqûre est très douloureuse. Dès que l’on passe le Sereth, on s’aperçoit que l’on entre dans un pays mieux cultivé, et la route de Galatz à Yassy offre sur certains points, avec des tronçons d’excellentes chaussées dues à l’hospodar Michel Stourdza, une culture, un air de richesse agricole qui rappellent les plus belles parties de la Toscane.

Entre Tekoutch et Birlat, je vis des bataillons russes qui gagnaient le Pruth pour repasser en Bessarabie par Léova et Skouléni. Les soldats avaient des sarreaux ; leurs casques étaient recouverts d’une toile grise destinée à les protéger contre les rayons d’un soleil déjà brûlant, bien que la saison fût beaucoup moins avancée qu’en Valachie, et que dans la Haute-Moldavie il y eût encore de la neige en assez grande quantité. En moins d’un an, j’avais vu les soldats russes entrer en Moldavie et quitter cette principauté. Leur attitude, l’expression de leurs visages étaient les mêmes ; ils étaient