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Les paysans, frappés de stupeur en présence d’un fléau contre lequel aucune tradition ne les avait prémunis, s’imaginèrent que les grandes innovations dues aux progrès de la science depuis quelques années en étaient la cause, qu’elles avaient altéré les qualités de l’air atmosphérique ou répandu sur les plantes une influence pernicieuse; suivant les localités, ils attribuèrent les uns au gaz d’éclairage, les autres aux chemins de fer, la désastreuse affection de la vigne, comme celle qui frappait les pommes de terre un ou deux ans plus tôt.

Quelques savans et un grand nombre d’observateurs superficiels ne se montrèrent pas beaucoup plus sages lorsqu’ils admirent, comme cause de l’affection spéciale, soit l’action de différens insectes que chacun avait pu remarquer sur une vigne malade, soit l’effet d’une dégénérescence spontanée des cépages dans tous les lieux où l’altération se manifestait; ils auraient dû voir que leur moyen de démonstration se bornait à cette vaine sentence : Post hoc, propter hoc; car ces faits particuliers, observés en divers lieux au moment où l’invasion de la maladie fixait l’attention générale, n’étaient pas partout les mêmes; il aurait donc suffi de les rapprocher les uns des autres pour établir que chacune des causes prétendues n’était qu’une simple coïncidence avec le phénomène en question.

Quant à la dégénérescence de la vigne, cette théorie compte encore des partisans, et vaut la peine qu’on la réfute par d’irrésistibles argumens. Les preuves surabondent heureusement sur ce point.

C’était encore par induction que l’on avait cru trouver la cause du mal dans un affaiblissement spontané de la vigne, devenue ainsi, disait-on, facilement attaquable par les végétations cryptogamiques, qui s’attachent aux plantes maladives; mais évidemment une altération aussi profonde, manifestant la dégénérescence subite et générale des cépages dans toutes les parties du monde, sous les conditions les plus diverses et même les plus récentes de sol, de climat, de culture, présageait dans un prochain avenir la disparition de la surface du globe des principales espèces ou variétés de la vigne. Comment en effet supposer qu’une plante vraiment dégénérée pût jamais reprendre sa vigueur primitive? Aussi les partisans de cette nouvelle théorie ne voyaient-ils de salut que dans l’introduction de nouvelles espèces. On avait observé que certains plants résistaient mieux que tous les autres aux atteintes de la maladie : les vignes nommées isabella et catawba, originaires d’Amérique, sont dans ce