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d’horticulteurs se débarrassent ainsi de l’oïdium tous les ans, sans qu’il leur en coûte plus de 90 centimes pour une étendue de 100 mètres[1].

Un chimiste ne se serait probablement pas avisé de cet expédient, car on ne trouvait pas alors dans les ouvrages élémentaires l’indication de la volatilité du soufre à une température plus basse même que celle de sa fusion. On sait en effet que ce corps, pour se liquéfier, exige une température de 110 degrés, supérieure à celle de l’eau bouillante, qui est de 110 degrés sous la pression atmosphérique de 76 cent, de mercure, et qu’il n’entre en ébullition qu’à la température, beaucoup plus haute, de 410 degrés environ[2]. Les résultats obtenus par M. Bergmann appelaient à un haut degré, on le voit, l’attention des chimistes. J’ai dû chercher à me rendre compte d’un fait aussi curieux, et j’ai remarqué que la fleur de soufre, chauffée sur une soucoupe au-dessus de l’eau bouillante, laisse exhaler des vapeurs sulfurées qui vont se condenser sur les objets environnans. Ce phénomène bien constaté en 1853, reproduit dans des cours publics au Conservatoire et à l’Ecole centrale, permit d’expliquer l’action du soufre, répandu même à une distance sensible des grains de raisin, sur lesquels il n’arrive qu’indirectement, entraîné par l’air ambiant après s’être volatilisé sous l’influence des rayons solaires.

L’action remarquable du soufre très divisé sur l’oïdium ou l’érysiphe de la vigne n’est plus aujourd’hui un fait isolé; nos laborieux horticulteurs, guidés par une analogie toute naturelle, ont obtenu d’aussi bons résultats en étendant l’application du procédé de M. Bergmann aux pêchers et aux rosiers envahis par d’autres érysiphes d’espèces voisines, dont ils ont paralysé la végétation parasite et limité les ravages. Il est probable que le même moyen réussira contre l’érysiphe qui attaque les houblonnières.

Le soufrage des vignes, pratiqué avec succès dans toutes les serres, puis sur les treilles, ne tarda pas à être étendu aux vignobles, d’abord par un propriétaire du Médoc, puis par MM. Le comte Duchâtel, de Sèze et Pescatore dans le département de la Gironde, et Benoît Bonnel, près de Narbonne[3]. Dans les premiers temps, et suivant

  1. Il est tellement reconnu aujourd’hui que l’oïdium est très facile à paralyser dans les serres, qu’un membre de la Société centrale d’Horticulture a pu dire, sans trouver de contradicteurs, dans l’assemblée générale du mois de juillet 1856, que tout jardinier qui laisserait envahir une treille sans arrêter à l’instant les progrès du mal aurait commis une faute impardonnable.
  2. C’est la température à laquelle les fabricans font bouillir le soufre dans des chaudrons ou cylindres en fonte pour produire les vapeurs abondantes qui se condensent en particules solides d’une ténuité extrême au milieu de vastes chambres en briques, et qui tombent comme une sorte de neige jaune, dite fleur de soufre, sur le sol de ces chambres.
  3. On trouve de très intéressans détails sur la maladie de la vigne aux environs de Narbonne, et sur les moyens employés avec succès pour la combattre, dans un mémoire adressé à M. Le ministre de l’agriculture par M. Benoit Bonnel, et publié en 1854.