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tion. Cette pairie privilégiée se recrute sans cesse dans la masse nationale; on la voit attirer et promouvoir au partage de sa dignité des noms nouveaux enrichis dans le commerce, distingués dans les affaires et la guerre, et lui apportant une dot d’influence et d’activité, en même temps que les noms les plus anciens dont elle s’honore ne cessent de compter de dignes représentans, des hommes d’état exercés, d’autres dans la voie de le devenir, et tous donnant au moins leur sang pour leur patrie, en Crimée ou ailleurs.

C’est ainsi qu’au seuil de la seconde moitié du XIXe siècle, après bien des plaies guéries, bien des maux allégés, après avoir fait l’émancipation catholique, la réforme électorale, la pacification de l’Irlande, le rappel des lois sur les céréales, et par là le bien-être alimentaire du peuple, l’Angleterre demeure à la fois stable et progressive, et gardant de ses institutions anciennes ce qui fait la force et la durée, comme ce qui fait la liberté. Quelques exagérations de journaux anglais, quelques phrases de l’école jacobine et de cette ultra-démocratie qui s’ennuie de la discussion et ne verrait que dans la dictature un réformateur assez expéditif pour ses vœux, tout cela, déjà fort amoindri depuis la paix, est au fond sans puissance contagieuse. Précisément parce que l’Angleterre a conservé sa liberté de la presse, elle n’a rien à en redouter. Il y a juste cent trente ans que Montesquieu, débarqué en Angleterre et un peu étonné de tant de bruit, écrivait dans ses notes de voyage : « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, on croit que le peuple va se révolter demain; mais il faut seulement se mettre dans l’esprit qu’en Angleterre, comme ailleurs, le peuple est mécontent des ministres, et que le peuple y écrit ce que l’on pense ailleurs[1]. »

A tant d’années de distance, après tant de catastrophes plus vastes où le monde s’est vu bien autrement engagé, M. de Rémusat juge comme Montesquieu le spectacle agrandi qu’il a sous les yeux. Il augure bien de l’Angleterre, il croit à sa prospérité, comme il aime ses lois; il croit, chez un peuple de si grand sens, à cette puissance de la liberté pour s’entretenir et se rajeunir elle-même, pour rester judicieuse, même en devenant plus populaire de théorie et de forme.

Un chapitre excellent, et d’une raison supérieure, est à distinguer même dans la remarquable introduction de M. de Rémusat : ce sont les pages où d’un coup d’œil rapide il met en rapport avec l’Angleterre Voltaire, Montesquieu, Mirabeau, indiquant ce que chacun de ces hommes y prend et peut-être y sème à son tour. Tout est ici de

  1. Montesquieu, Notes sur l’Angleterre, p. 343, t. VII.