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tumulte de procès, de paroles académiquement violentes, de répliques vigoureuses ; elle ne s’émeut pas, parce qu’après tout elle sent que dans ces querelles il y a plus d’animosités personnelles que de questions de principes. Une chose tombe sous le sens : si on a raison de vouloir tuer l’Univers parce qu’il compromet la religion, l’Univers a donc raison à son tour de vouloir supprimer tout ce qui à ses yeux est un péril pour cette même religion. La réalité est qu’il faudrait s’abstenir, fût-ce au nom de la liberté et de la modération, de vouloir tuer des journaux, même quand ils se livrent à des thèses excessives que le talent fait lire sans les rendre plus vraies. Le malheur dans notre temps, c’est qu’il y a trop de laïques qui veulent être évêques, gouverner l’église, et que peut-être aussi parfois les évêques cèdent trop volontiers au penchant de se faire journalistes. Certes l’épiscopat est le meilleur juge de la conduite qu’il doit tenir : supposez cependant qu’il se fût abstenu dans cette circonstance, l’intérêt de la religion n’eût point été en péril sans doute ; la lutte serait restée une querelle de journaux, et l’opinion aurait fini par voir passer un matin cette polémique, comme elle en a vu passer tant d’autres.

L’opinion a son influence dans toutes les sphères, et même quand on ne lui demande pas de se prononcer, elle se fait jour soit dans la société ou la politique, soit dans les lettres ; elle se fait jour par des voies imperceptibles. Elle peut avoir ses passions, ses préjugés, ses irréflexions, et c’est pour cela que tout doit se combiner dans la vie intérieure d’un pays pour l’éclairer, la rectifier et l’élever. Les lettres expriment souvent cette opinion : c’est leur mission, comme leur devoir est de la ramener sans cesse vers le vrai et vers le beau. Quand l’Académie française décerne des récompenses à la vertu, à l’éloquence, ou au mérite littéraire, comme elle le faisait l’autre jour encore, quelle est sa pensée ? Elle montre le bien comme le but de la vie pratique, elle montre le beau comme l’unique objet digne d’enflammer les intelligences. De là l’intérêt naturel de ces distributions de prix qui se renouvellent tous les ans et qui ont par elles-mêmes un sens élevé. L’Académie fait-elle invariablement des choix conformes à la pensée qui préside à ses concours ? la confusion et les contradictions ne se glissent-elles point parfois dans ses jugemens ? Ceci peut être discuté. Toujours est-il que ces séances annuelles ont un caractère particulier ; elles sont ou du moins elles devraient être une sorte de revue des forces intellectuelles, des tendances de l’esprit, de mille questions qui intéressent la littérature, la philosophie ou la morale, et qui naissent des sujets mêmes offerts à l’émulation des concurrens. C’est une occasion naturelle de raviver certaines notions de la science et du goût, et de montrer comment ces notions de la beauté restent impérissables à travers les révolutions. M. Villemain accomplit en maître éprouvé de la parole cette œuvre traditionnelle de révision et de lumineuse critique, tempérant la louange académique par le conseil, résumant, confirmant par l’exemple et par le précepte les grandes lois de l’éloquence et de