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et devoir sont dans une certaine mesure les accompagnemens nécessaires de toute science, combien n’est-ce pas encore plus certain de la religion, qui est la science de la vérité suprême, de celle qui commande à l’âme tout entière, et qui doit gouverner les sentimens comme les idées! C’est ainsi que la religion, qui tient le premier rang dans la science, tient un rang égal dans la vertu. On demandera peut-être s’il est possible que la nature particulière de ses dogmes n’entre pour rien dans ses effets sur le cœur et la conscience. Sans essayer de mesurer la portée de cette influence, nous nous bornerons à une remarque générale. L’empire du christianisme est tout spirituel. C’est à ce point qu’en bien des cas les choses spirituelles sont une expression synonyme des choses religieuses ou chrétiennes. L’effort de toutes les écoles du christianisme est de créer en nous l’homme spirituel. Deux voies paraissent ouvertes pour arriver à ce but. Ici on pense que plus les dogmes religieux contiendront de réalités ou d’apparences appartenant au monde matériel, comme une église visible, des pouvoirs établis, un culte compliqué, des cérémonies, des personnages sacrés, des mystères cachés sous des symboles, des miracles nombreux et qui se perpétuent, plus la spiritualité gagnera à rechercher le sens divin sous le sens littéral, à saisir la vérité divine recouverte de tant de formes temporelles, à la recueillir disséminée dans tant de réalités particulières. Là on soutient au contraire que la spiritualité ne se développe qu’en s’épurant, qu’elle ne se manifeste jamais mieux que dégagée de toutes formes extérieures, signes visibles, emblèmes mystérieux, et que ceux-là s’en approchent davantage qui font de plus en plus de la religion quelque chose qui ne tombe pas sous les sens. Dans les deux cas, la foi est bien, comme dans l’épître aux Hébreux, l’argument de l’invisible; mais dans un cas le dogme complique, dans l’autre il simplifie. Dans quel cas est-il plus efficace en morale? Duquel l’argument sort-il plus pur et plus éclatant? C’est à d’autres d’en décider; pour nous, nous reconnaissons qu’il y a là deux systèmes, ou si l’on veut, deux tendances entre lesquelles il faut choisir, sans s’interdire les justes milieux.

Les milieux sont difficiles à poser. Les doctrines qui veulent être absolues les excluent; mais ne réussit pas qui veut à être absolu. Dans le sein même de l’unité catholique il y a des degrés. Un prêtre de Paris ne croit pas tout ce que croit un prêtre espagnol. M. Frayssinous n’eût point signé tout ce qu’a écrit saint Thomas d’Aquin; M. Gratry ne souscrit pas à tout ce qu’a prêché Massillon. Il y a un éclectisme permis qui produit des différences comme celle d’Arnauld à Fénelon, sans compter l’éclectisme qu’on se permet et toutes les différences dont on ne se vante pas. Nos églises sont pleines de schismatiques intérieurs.