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MAURICE DE TREUIL.

le parc. Arrivée dans un coin sombre, elle tomba au pied d’un arbre et fondit en larmes. Elle regardait la place où avait été l’opale.

— Oh ! ma bague ! ma pauvre bague ! dit-elle.

Le sacrifice qu’elle venait de faire avait épuisé son courage, mais sa nature vaillante reprit enfin le dessus ; elle releva la tête, baigna son front et ses yeux dans l’eau d’une fontaine et rejoignit la compagnie.

Maurice, qui ne l’avait pas encore vue, marcha au-devant d’elle. Laure lui prit le bras.

— Voyez, dit-elle en lui montrant son doigt, je n’ai plus cette bague que vous m’aviez donnée.

— L’opale de ma mère ?

— Vous la retrouverez au doigt de Sophie. Elle sera votre femme. Il vaut donc mieux que ce soit elle qui la porte… C’était trop pour une amie.

Le lendemain de cette journée, les bans de Maurice et de Sophie furent publiés.

Sophie avait désiré que Laure lui servît de demoiselle d’honneur, et Laure avait accepté ; mais peu de jours avant le mariage la vieille tante de la jeune pianiste fut emportée en quelques heures par une congestion cérébrale. Laure, couverte de vêtemens de deuil, se réfugia chez M. Sorbier, qui lui offrit l’hospitalité pour quelque temps. Elle restait sans protecteurs naturels, seule à vingt ans, et sa position devenait difficile. Maurice, qui l’aimait comme un frère, proposa tout de suite à Sophie de la prendre avec eux.

— Je ne demande pas mieux, répondit Sophie, mais vous oubliez que nous demeurerons chez nos parens ; encore faut-il leur consentement.

— Rien de plus facile. Je me charge de l’obtenir.

Maurice cependant s’aperçut bientôt que ce consentement n’était pas aussi facile à obtenir qu’il l’avait cru d’abord. Le projet, si simple en apparence, qui consistait à donner une petite chambre où Laure pût habiter sous le patronage de la famille, rencontra toute sorte de difficultés. C’était prendre une responsabilité qu’on regretterait plus tard, et se charger implicitement de l’avenir d’une personne qui n’était pas de la famille. Il pouvait en résulter mille inconvéniens auxquels on ne pensait pas d’abord, mais qui ressortiraient d’une cohabitation commune. Était-on bien sûr d’ailleurs que les caractères de Sophie et de Laure s’entendraient longtemps ? Et puis Laure était bien jeune. On ne doutait pas certainement de la pureté de son cœur et de l’élévation de son esprit. L’aurait-on accueillie et protégée comme on l’avait fait sans cela ? Mais enfin elle avait vingt ans, et elle était belle. Il fallait prévoir les difficultés pour n’avoir pas à