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MAURICE DE TREUIL.

vous remplit de lassitude et d’accablement. J’essuie mes yeux et je cours à mes occupations de tous les jours. Le chagrin reste au fond du cœur, mais, bercé par le travail, il s’y endort. Il n’y a que les heureux de ce monde qui connaissent la volupté des regrets. Je les repousse, et si je ne les oublie pas, je les force au silence. Un soir que je causais avec Maurice comme je cause avec vous, il me dit que j’étais un philosophe.

— Il se trompait, Laure, vous êtes une chrétienne.

— Oh ! il ne faut pas trop me louer de ma résignation ; elle me vient de la nécessité. Et puis savez-vous quel autre motif me pousse à rentrer chez moi malgré tous les tristes souvenirs qui vont m’y assaillir ? C’est la gêne, pour ne rien dire de plus, que me fait éprouver la conversation que je viens d’avoir avec Mme Sorbier. Le sentiment de cette protection me pèse ; je ne me sens pas à l’aise ici, j’y respire avec embarras.

— Ainsi vous allez reprendre le cours de vos leçons ?

— Dès demain.

— Et vous continuerez à habiter votre cinquième étage de la rue de Douai ?

— Toujours ; j’y ai souffert, j’y ai pleuré, il m’est cher.

— Et cette solitude où vous allez vivre ne vous effraie pas ?

— Je mentirais si je disais le contraire, mais je m’y habituerai.

— En êtes-vous bien sûre ?

— Oui. Avez-vous quelquefois réfléchi à la puissance de ces trois mots : Il le faut !

— Et si vous tombez malade ?

— D’autres, qui étaient seuls aussi, l’ont été avant moi.

Depuis quelques minutes, il était facile de voir qu’un grand combat se livrait dans l’âme de Philippe. Tout à coup et comme un homme qui prend sa résolution :

— Laure, dit-il, je m’appelle Philippe Duverney, j’ai quatre ou cinq mille francs de revenu à moi, j’en gagne un peu plus. Le tout ensemble permet de vivre honnêtement à deux. J’ai trente-quatre ans ; quant à ce qui est du caractère, vous le connaissez. Vous plaît-il de me prendre pour mari ?

Laure devint pourpre.

— Mais, dit-elle en s’efforçant de rire, c’est ma main que vous me demandez ?

— Oui.

Laure sentit que des larmes lui venaient aux yeux, et les laissa couler.

— Vous êtes bon, dit-elle.

— Ma bonté n’a rien à faire là-dedans, reprit Philippe. C’est le