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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

pas. Qui peut désormais l’y faire rentrer ? Qui peut même lui dire : « Tu n’iras pas plus loin ? » En attendant, la société lui ouvre des refuges : ce sont des canaux par lesquels elle espère échapper au débordement, c’est un lit nouveau qu’elle creuse à ces eaux sorties de leurs cavités ; mais, comme ce lit est petit, afin qu’il ne se remplisse pas trop vite, on tient l’écluse à moitié fermée, tandis que le torrent de la pauvreté mugit à l’extérieur et frappe à la porte. Cette procession qui épouvante Thomas Hood aboutit au workhouse.

Un trait remarquable du pauvre dans cette période nouvelle, c’est qu’il n’a plus la pudeur de sa pauvreté. Sa vie est livrée à la publicité sans ménagement, elle est exposée toute nue aux yeux du monde ; tout y est sujet à renseignemens, tout y est matière à notoriété. Le pauvre, inscrit au registre de la charité légale, n’a pas d’affaires privées ; amis et ennemis s’appliquent également à l’empêcher de cacher quelque chose : c’est là un des changemens de la condition du pauvre depuis Crabbe. Il est plus secouru, mais il rougit moins ; il reçoit plus de pain, mais il conserve moins le sentiment de son honneur. La loi entre dans les gîtes de ces malheureux pour y fureter partout ; elle enregistre leur table boiteuse et leur chaise défoncée ; la statistique compte les trous de leurs habits ; des hommes d’état font le calcul de leur recette et de leur dépense, jusqu’à des fractions de penny et à des demi-onces de thé. La curiosité, bras dessus bras dessous avec la philanthropie, vient visiter leur âme et leur corps ; elle constate les défauts et les vices de l’une, comme les scrofules et les cancers de l’autre. Ce qu’ils gagnent, ce qu’ils dépensent, ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent, ce qu’ils portent de la tête aux pieds, avec le prix de chaque chose, où ils dorment et combien ils couchent dans un même lit, — tout cela est connu, consigné, imprimé. En sortant de son obscurité, le pauvre a fait banqueroute à sa réputation ; il est comme un homme dont la faillite est déclarée : il n’a plus rien à ménager, et au besoin il saura, sans fausse honte, même avec hauteur, invoquer le bénéfice de la loi.

Enfin le pauvre de Thomas Hood demande du travail, cette source de vie qu’on ménage et qu’on n’improvise pas, cette force qu’il n’est aisé de créer que lorsqu’elle abonde, c’est-à-dire quand elle n’a pas besoin de nous. En invoquant la pitié du riche, il avertit sa prudence ; derrière la prière, il y a bien quelque menace. Si on le refuse, il ne se révoltera pas, mais il se fera braconnier et tuera les daims de sa grâce ; il se fera voleur et dérobera l’argenterie du lord. Il sera coupable ou malade, et il faudra entretenir pour lui un hôpital ou une prison. Ce n’est pas tout : il ne veut pas d’aumône, pas de workhouse ; il veut du travail, c’est le droit au travail qu’il proclame. Le droit au travail ! beau mot, figure brillante à mettre dans