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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

intérêt bien entendu. Il ne se contente pas, comme autrefois, d’invoquer Dieu ; il se met d’abord en règle avec les hommes. Il tire parti de sa position avant de se livrer à la pitié publique, et avant de faire des vœux il commence par voter la réforme et le suffrage universel. Son espérance est sage, mais elle n’est pas la pure vertu chrétienne : elle se compose en grande partie de calculs politiques.

Telle est au fond la pensée de Bamford, même dans cette poésie émouvante et désolée qui a dû à l’auteur de Mary Barton un accroissement de célébrité. « Dieu soit en aide aux pauvres ! » s’écrie-t-il, et c’est un mouvement religieux qui nous touche beaucoup plus qu’une menace. Mais le poète ne se propose pas de reporter vers Dieu la pensée de ceux qui souffrent ; son but réel est de mettre en relief leurs souffrances : c’est beaucoup plus un plaidoyer pour des douleurs humaines qu’une exhortation à la confiance religieuse. C’est un cadre où sont enfermées toutes les variétés, toutes les conditions de la misère, dans le dessein de frapper plus vivement. Dieu soit en aide à la pauvre jeune fille pâle qui tombe de besoin et supporte avec douceur sa pauvreté ! Pauvre fille qui frissonne et tremble ! Sa lèvre est blanche et sa main rougie par le froid ; ses yeux caves sont modestement baissés, tandis que ses cheveux noirs voltigent au souffle du vent ; son sein, mal protégé contre la neige, est glacé, ses pieds sont engourdis dans leur chaussure déchirée. — Dieu te soit en aide, pauvre agneau sans bercail ! À la pauvreté de la jeune fille succède celle de la mère, qui est décrite avec le même sentiment de la réalité, avec le même besoin de produire l’impression utile. Les vagissemens d’un enfant viennent du côté de cette porte cochère : voyez ! il y a une femme, tapie dans ce coin, qui cherche à défendre du froid son enfant. Son vêtement est à peine suffisant, son bonnet est en lambeaux ; un châle usé enveloppe son poupon ; elle supporte ainsi l’impitoyable bise du matin. La pauvre femme a la faim dans les regards, lorsqu’un passant traverse la rue avec un pain tout chaud, et tandis que ce pain qui la tente s’éloigne, elle pleure. Dieu te soit en aide, infortunée ! Oui, Dieu te soit en aide, parce que les hommes t’abandonnent, car telle est la pensée du poète : les hommes ne font rien pour vous, pauvres femmes nées pour être heureuses, pour être belles, et que la pauvreté a flétries ! Dieu vous assiste, tristes et pauvres filles du peuple !

Il y a encore une misère bien douloureuse sur laquelle les hommes ferment les yeux : c’est la misère adolescente, maladie qui ronge les générations avant qu’elles ne fleurissent. Ces pauvres enfans, qui devraient et ne peuvent devenir des hommes, errent affamés par les rues ; sans bas ni souliers à leurs pieds, ils se traînent et vagabondent çà et là, promenant sans but des regards tristes et rêveurs,