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puis s’arrêtent devant toutes les boutiques où sont exposés en montre des articles de consommation. Ils dévorent, quand ils le peuvent, une croûte moisie devant ces étalages tentateurs, et déchirent à belles dents leur pain dur, quand ils en ont, sans faire état du vent, de la neige et des tempêtes. Dieu vous soit en aide, pauvres enfans ! Dieu soit en aide aussi aux vieillards qui manquent de tout ! car c’est encore là une pauvreté qui a des droits auxquels nous ne songeons pas. Vous avez remarqué ce pauvre vieux tout courbé dont le chapeau rabattu est noué d’un crêpe flétri, et dont le vêtement grisonnant montre la corde ; les vents d’hiver semblent se jouer de sa chevelure blanche, et sa poitrine sans chemise est ouverte à leur souffle. Vous l’avez vu baisser ou détourner timidement son regard pensif, prendre un mouchoir déchiré pour essuyer les larmes qui obscurcissent ses yeux, regarder quelquefois autour de lui, comme s’il voulait chercher un ami. Hélas ! il est abandonné à lui-même !

« Dieu soit en aide aux pauvres qui habitent dans les vallées solitaires ou sur les montagnes éloignées, où poussent le genêt et la bruyère ! Leur histoire est triste à raconter ; mais le monde s’en soucie peu, et il n’aime pas à connaître la peine et le besoin auxquels des hommes sont condamnés. Le métier fatigant les appelle dès le matin ; ils travaillent jusqu’à ce que la nature épuisée succombe au sommeil. Ils goûtent, ils ne dînent pas. La neige, fouettée par le vent, s’amoncèle autour de leur chaumière sans feu, et barricade leur porte, tandis que la tempête de la nuit hurle sa complainte à travers la lande. Faut-il donc qu’ils périssent ainsi, pauvres victimes accablées ? Travail, faim, souffrance, faut-il donc encore supporter tout cela sans espérance ? Non ; Dieu se lèvera quelque jour et viendra en aide aux pauvres ! »

Le sentiment religieux est dans la poésie de Bamford, mais il n’y occupe que la seconde place ; la première appartient à la peinture de la réalité douloureuse. Ce recours vers la Providence divine est une accusation contre les hommes. Le pauvre qu’on renvoie ainsi à Dieu ne s’y trompe pas ; il sait fort bien à qui s’en prendre. Il ne demande pas mieux que de croire que les obstacles à son bien-être sont dans les hommes ; il se persuade d’autant plus facilement que les moyens de l’assurer sont aussi dans les hommes. Ce n’est pas qu’on l’exhorte à se révolter, à devenir lui-même sa providence : si le poète le pensait, il le dirait. Le peuple anglais ne devine pas à demi-mot, il faut lui crier : « Révoltez-vous ! » Le pauvre sait bien que de telles plaintes ne signifient pas révolte, et que répond-il quand on lui dit : « Dieu se lèvera quelque jour et viendra en aide aux pauvres ? » Il répond comme Barton dans le roman que nous avons cité, il répond amen. Quand on lui fait entendre que Dieu lui viendra en aide sous