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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

l’image d’une réforme radicale, qu’a-t-il de mieux à faire que de répondre amen ?

III. — ebenezer elliott.

Elliott est déjà connu en France, mais mal connu. En Angleterre même, on s’est longtemps fait de lui une idée assez fausse. Ce nom présentait l’image d’un homme aux passions ardentes comme la forge où il vivait, d’un homme sauvage et dur comme le fer qu’il travaillait. On le croyait violent comme les invectives versifiées de ses Corn-Law Rhymes. Ajoutez qu’il avait reçu de la nature une de ces physionomies dont un œil intelligent peut seul découvrir les beautés. Malheureux les mortels qui avec une telle physionomie sont affligés d’une célébrité ! les dessinateurs vulgaires les vouent pour jamais à la caricature. Le gros nez d’Elliott, ses sourcils tourmentés, ses lèvres fortes, ses cheveux épais, son teint gravé de la petite-vérole, apportaient un fâcheux commentaire à ses vers jacobins, et le faisaient prendre pour une espèce de cannibale. Comme il vivait retiré, il garda longtemps sa réputation de sauvage. Il fallut que des voyageurs moins prévenus que le public vinssent le chercher dans sa retraite, et cependant les préjugés de plus d’un lecteur à son endroit durèrent jusqu’à sa mort. Grâce au silence et à la demi-obscurité qui s’est faite autour de lui après sa période de gloire et d’éclat, peu de personnes ont eu l’occasion de voir de près cet ogre buveur de sang ; on s’en est tenu plus ou moins à l’Ebenezer Elliott des Corn-Law Rhymes et des lithographies. Aujourd’hui l’homme est mieux connu ; sa vie, des fragmens autobiographiques, des morceaux de sa correspondance, ont été donnés, il y a trois ans, par son gendre, M. Watkins, avocat, chartiste et poète lui-même. Dans ce volume, le chartiste se montre peu ; on ne voit pas trop le gendre ; seulement l’avocat et le poète auraient dû s’effacer davantage. Tel qu’il est, le livre de M. Watkins n’en est pas moins utile : il restitue au public la vraie figure d’Elliott. Après avoir donné au lecteur une idée générale de la poésie des pauvres dans le radicalisme, nous pouvons accorder quelques momens à la vie et aux ouvrages de l’auteur des Corn-Law Rhymes. Son histoire ne sera ni un épisode ni une digression, ce sera comme le modèle et le type de la biographie de ces poètes sortis des échoppes et des ateliers.

L’énergie et la patience furent les qualités dominantes d’Elliott. Non-seulement il soutint sur les lois des céréales une lutte pleine de dégoûts et de fatigues, mais sa carrière littéraire fut elle-même un singulier exemple de force et de constance. La renommée se fit attendre vingt ans. Il eut beau travailler, imprimer, tenter la for-