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devaient plus vivre, mais que Jésus-Christ devait vivre en eux[1]. Quelle distinction pouvait subsister encore entre des hommes qui portaient tous également leur Dieu en eux-mêmes ? Que signifiaient désormais, au point de vue religieux, les noms de patriciens et de plébéiens, de nobles et d’esclaves, de Romains et de Barbares, de Juifs et de Grecs ? Mais remarquez la conséquence rigoureuse de cette égalité : la personnalité du Christ n’absorbait que leur vie morale et religieuse. Pour le reste, ils se nommaient toujours Ignace, Victor, Zéphyrin, Calliste ; ils ne se donnaient le nom de chrétiens que devant les autels, quand on les sommait de brûler de l’encens pour l’empereur. Comme Ignace et Victor, ils obéissaient et appartenaient à l’empereur. Comme chrétiens, ils ne lui appartenaient plus, et c’est pourquoi ils répondaient « chrétiens, » quand on leur demandait leur nom. C’est dans ce dernier sens qu’ils échappaient aux lois romaines, et qu’ils avaient un code particulier où l’égalité était inscrite. Ce dernier mot dit tout : ils étaient égaux non comme hommes, mais comme christophores, c’est-à-dire comme chrétiens.

À côté des changemens qui se font dans la vie romaine, on suit avec intérêt les progrès de la société chrétienne. Tant que celle-ci est à l’état de minorité, des traits particuliers la distinguent de ce qu’elle sera plus tard. Aucun signe extérieur ne désigne le prêtre ; quelques-uns seulement, sortis des écoles du Portique ou de l’Académie, conservent le manteau de philosophe. Plus exposés que les autres à la haine des païens, ils vivent en général dans l’attente du martyre, et mènent une vie ascétique pour quitter la terre plus aisément. C’est le trésor de l’église qui pourvoit à leur subsistance ; des distributions mensuelles d’argent leur permettent d’acheter les légumes et les viandes sèches dont ils se nourrissent habituellement. Quelquefois on ne leur distribue que des vivres. Ils vivaient comme une famille autour de l’évêque qui en était le chef. On donnait à celui-ci le nom de père, qui est resté au pape.

Les catacombes de Rome sont étroitement liées à l’histoire des chrétiens de ce temps. Elles servaient à la fois de retraites et de cimetières. Comme retraites, elles étaient imitées de ces arénaires ou carrières de sable d’où l’on tirait la pouzzolane. Par un respect pour leur campagne que nous ne partageons pas, les Romains ne faisaient pas de ces grands trous qu’on trouve à chaque pas dans les environs de nos villes. Ils faisaient des puits par lesquels ils pénétraient en tous sens dans les entrailles de la terre, et multipliaient ainsi la peine, la main-d’œuvre et même les périls, plutôt que de gâter leurs domaines. C’est là que se cachaient les criminels, les assassins, les esclaves fugitifs. Cicéron parle d’un certain Asinius qui fut traîtreusement attiré dans les jardins des faubourgs de Rome, et, entraîné dans les arénaires hors de la porte Esquiline, y reçut la mort. Lorsque Néron s’enfuit de Rome, où tout l’abandonnait, Phaon, son affranchi, engagea son maître à chercher un asile dans une de ces vastes sablonnières ; « mais il refusa, dit Suétone, de s’ensevelir tout vivant. » Ainsi nous voyons le chris-

  1. Saint Paul, II ad Cor., c. 5,4. — Ad Gal., c. 2,20.