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sentiment, et qu’elle vient à la fois de l’intelligence qui cherche ses règles dans la raison et de la sensibilité qui, née de l’instinct, ne se dirige pas par des règles. L’âme y est satisfaite tout entière. Ceux qui, en fait d’art, raisonnent et ne sentent pas tombent dans le système. Cherchant dans leur esprit le sens et la portée de l’art, ils inventent une théorie, réunissent les deux prémisses d’un syllogisme et tirent une conclusion, conclusion rigoureuse, qui ignore les accommodemens et marche d’un pas lourdement superbe à travers les beaux-arts pour leur tracer leur chemin. Quelquefois ce chemin est une impasse. Ceux-ci voient dans une seule école le beau souverain ; ils la guindent sur le piédestal de leur haute admiration et courbent autour d’elle toutes les autres écoles, même celles qui élèvent le plus glorieusement la tête au-dessus des siècles écoulés. Ils disent à l’art : Tu n’iras pas plus loin. Quoi qu’il arrive, c’est l’art qui s’est trompé, ce n’est point eux. Pour eux, ils se cantonnent dans l’école qui a leur préférence, époussetant avec amour les statues, les tableaux, les monumens qu’elle renferme. D’autres, par une révélation supérieure, percent les arcanes des choses, et, véritables oracles, dévoilent les routes métaphysiques dans lesquelles l’art doit se développer. Ils lui disent : Tu iras là. Vox clamantis in deserto. Parlerai-je de ceux qui font le contraire et qui, écrivant sur les beaux-arts, se contentent de sentir sans raisonner ? Ils fleurissent particulièrement en France. Les beaux-arts sont pour eux un pays curieux qu’ils parcourent en visiteurs, en touristes, sans même se munir, comme les Anglais, de guides, de plans et de cartes. Ils ne sont pas assurément aveuglés par des systèmes préconçus ni enfoncés dans les obstinations d’une théorie. Ils admirent parfois ce qui n’est pas très admirable, ou méconnaissent des beautés qui ne se révèlent qu’aux connaisseurs. Quelquefois aussi ils font des remarques ingénieuses qui échapperaient aux connaisseurs par l’effet de l’habitude ; ce qu’on voit tous les jours ne frappe pas. S’ils ont un peu de goût, un peu d’esprit, on leur accorde quelques heures de loisir ; on les lit, mais on se garde de les croire sur parole.

Il faut donc leur préférer ceux qui, sans s’occuper d’objectivité et de subjectivité, et sans vouloir asservir à une forme unique la liberté du génie humain, étudient avec une observation persévérante les beaux-arts et en connaissent à la fois les procédés et l’histoire. M. de Mercey, par exemple, connaît bien la partie technique des beaux-arts ; il a tout étudié, presque tout vu, tout comparé. C’est un amateur sérieux qui s’est fait de l’art une préoccupation constante et aimée. Il ne va pas sur les traces des Baumgarten, des Mendelssohn et des Kant, et il nous conduit tout d’abord devant les monumens. Il n’aligne pas ses jugemens, comme des troupes, pour la défense d’une théorie. Il ne hérisse pas son chemin de thèses dogmatiques ; il critique avec mesure, loue avec sagesse, discerne partout le bon et le mauvais. Ses Études, écrites à divers intervalles, réunies par un lien assez lâche, se promènent à leur aise dans le champ de l’histoire, qu’elles parcourent tout entier, mais d’un pas inégal, passant un peu vite sur le moyen âge, s’arrêtant plus longuement sur la renaissance, s’écartant à l’occasion en de fortuites digressions avec cette allure libre que donne l’équité. Tantôt elles prennent une nation à partie et conduisent