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je leur trouvais un air de famille. C’est une question de savoir s’il y eut entre Auguste et Tibère un rapport mystérieux de parenté; en tout cas, ils étaient parens par l’âme : ce qui était inné à tous deux, c’était la cruauté et la duplicité.

Tibère a l’air moins faux qu’Auguste. Il semble qu’une hypocrisie encore perfectionnée lui a permis de mieux dissimuler la noirceur de son âme. Le front et le regard sont plus sereins chez Tibère que chez Auguste. Auguste a, pendant quinze ans, rusé, craint et menti sans cesse. Ce long effort, ces machinations périlleuses ont laissé sur sa physionomie une empreinte ineffaçable d’inquiétude et de menace. Tibère n’a pas eu autant à lutter pour arriver à l’empire : il s’est tenu à l’écart et il a attendu. Le regard d’Auguste, qui tombe obliquement vers la terre, semble y chercher la liberté romaine, cette ennemie vaincue, pour l’écraser. L’œil de Tibère n’a plus besoin de se baisser, l’ennemie n’existe plus, même à l’état de cadavre. Tibère regarde devant lui la route toute tracée qu’il peut suivre plus tranquillement. Le soupçon, qui lui fit commettre tant de meurtres, est pour lui une affreuse prudence, mais n’est plus une nécessité.

Ainsi je m’explique cette sérénité qui étonne sur son front, et qu’on ne voit pas sur celui d’Auguste. Sa perversité est, si l’on veut, plus grande, mais sa situation est plus forte. Le regard sournois d’Auguste révèle un effort contenu et pénible d’hypocrisie; le regard droit et assuré de Tibère montre que l’hypocrisie ne lui coûte rien. Cette distinction faite, j’oserai dire qu’Auguste et Tibère étaient deux hommes de même trempe. C’était au fond le même homme, cet homme qui a reparu, au xv siècle, sous le nom de Louis XI ; seulement Tibère est venu après Auguste. Le despotisme, dont le propre est d’aller empirant toujours, a révélé chez Tibère toute la laideur déguisée sous le masque d’Auguste. La corruption qui était dans le sang a paru au dehors; l’ulcère s’est montré sur le visage. Rome, qui avait salué l’avènement du despotisme avec cet espoir éternellement déçu qui se réveille à chaque état nouveau par lassitude de l’état ancien, Rome s’est aperçue qu’en politique la mort ne préserve pas de la souffrance et qu’on ne gagne rien à tout perdre.

De cette ressemblance même d’Auguste et de Tibère sont nées des réclamations en faveur de celui-ci, victime peu intéressante sans doute, mais réellement victime d’une injustice relative de la postérité. Tibère n’avait pas eu de grands poètes pour faire sa menteuse apothéose, et Tacite l’avait traîné aux gémonies de l’histoire. On a été frappé d’une différence trop grande dans la destinée de ces deux mémoires. On a dit que Tibère avait porté aussi de sages lois, et pendant les premières années de son empire, administré habilement, fait par lui-même des guerres glorieuses; que Tacite et Sué-