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veilla l’impression à Edimbourg d’une édition française de l’Esprit des lois, qu’il serait curieux de comparer avec les éditions publiées en France, parce qu’elle contient des corrections et des notes fournies à Hume par l’auteur. Cette publication fut en effet pour Hume l’occasion d’entrer en relation avec Montesquieu, à qui il adressa ses ouvrages et avec qui il échangea des lettres pleines de courtoisie.

Les Recherches sur les principes de la morale sont le dernier écrit philosophique qui soit sorti de la plume de Hume : elles sont le complément des Recherches sur l’entendement humain, mais elles n’en ont pas l’originalité. Quant aux Discours politiques, qui contiennent la majeure partie et les plus substantiels des écrits de Hume sur l’économie politique, ils passent aux yeux des Anglais pour son meilleur ouvrage. C’est assurément celui de tous qui eut le succès le plus immédiat et le plus général.

Un grand changement s’accomplit à cette époque dans l’existence de Hume. Ses amis avaient de nouveau essayé en 1751 de le faire entrer à l’université de Glasgow et avaient brigué pour lui la chaire de logique. Ils échouèrent, et Hume ne voulut plus tenter l’aventure; mais comme son frère venait de se marier, il se résolut néanmoins à quitter Ninewells, afin d’avoir une entière liberté. Ses livres lui avaient rapporté quelque argent; il avait fait quelques économies pendant ses deux missions avec le général Saint-Clair; enfin il se trouvait à la tête d’un capital de 1,000 livres sterling; c’était à ses yeux la richesse. Il écrivait à ce sujet à son ami Michel Ramsay : « Je pourrais bien avoir comme tant d’autres la prétention de me plaindre de la fortune, je m’en garderai bien, je serais le premier à me taxer de déraison. Tant que l’intérêt demeurera au taux actuel, j’aurai 50 livres de rentes; ma bibliothèque vaut 100 livres, j’ai du linge en abondance, une garde-robe bien montée et près de 100 livres en réserve, avec tout cela de l’ordre, de la frugalité, un grand amour de l’indépendance, une bonne santé, un caractère égal et une passion infatigable pour l’étude. Je dois donc me regarder comme au nombre des heureux et des favorisés, et loin de vouloir tirer de nouveau à la loterie de la vie, il est peu de destinées contre lesquelles je voudrais changer mon sort... Je vais m’établir à Edimbourg, ma sœur compte venir me rejoindre, et comme elle peut ajouter 30 livres à mon revenu, et qu’elle a au même degré que moi l’amour de l’ordre et de la frugalité, nous ne doutons pas de joindre les deux bouts. »

Tout cela est parfaitement sincère : cette existence plus que modeste répondait si bien aux goûts de Hume, qu’elle lui donna réellement toute la félicité qu’il s’en promettait. Au commencement de 1753, il écrivait au docteur Cléphane : « J’éprouve le besoin de triompher un peu à vos yeux, car enfin, ayant atteint la quarantaine, me voici à mon honneur, à l’honneur de la science et de l’époque