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Nina a beau faire et se mettre en colère, elle parle à visage de bois ; Old Hundred ne répond plus, se remet à fumer, et paraît plongé dans une profonde rêverie ; de guerre lasse, sa maîtresse s’en va.

Comme échantillon plus noble de l’espèce, Mme Stowe présente Milly, une négresse qui appartient à la tante de Nina. C’est elle qui personnifie la beauté, la bonté, la grandeur d’âme de sa race ; c’est elle qui souffre, saigne et pardonne en invoquant l’Évangile. Elle est d’une famille de rois d’Afrique, d’une race qui n’avait pas encore été abâtardie par l’esclavage ; il ne lui manque pour cadre que la magnifique et brûlante nature de sa patrie. Les passions bouillonnent dans son sein avec une ardeur tropicale ; mais ce qui domine en elle, c’est le courage et la générosité, et un respect natif d’elle-même qui la rend incorruptible et fait de sa parole un serment sacré.

Ce n’est point sans une intention morale que Mme Stowe place ainsi cette esclave sur un piédestal et fait d’elle une héroïne, car de ses vertus mêmes découleront ses plus grands maux, et sa valeur divine ne fera qu’ajouter à sa valeur vénale. Les maîtres se disputeront ce meuble précieux, et son âme sera mise aux enchères comme son corps. Non-seulement elle portera elle-même la peine de sa vertu, mais, chose plus horrible, elle en sera encore punie dans ses enfans, et leur transmettra comme une malédiction ce crime d’un nouveau genre. Une pareille mère aura des enfans qui lui ressembleront, qui seront des articles cotés très haut sur les marchés. Milly, comme Harry, avait d’abord juré de ne pas se marier ; puis comme lui bientôt elle avait cédé. Quatorze enfans étaient nés de son mariage ; elle les avait tous élevés, et tous, l’un après l’autre, lui avaient été arrachés pour être vendus à de nouveaux maîtres. « La première fois, dit l’auteur, elle avait montré la férocité d’une lionne ; mais, frappée coup sur coup, elle avait fini par acquérir une sorte de sombre insensibilité ; puis l’esprit chrétien était entré, comme cela arrive souvent pour l’esclave, par les fentes d’un cœur brisé. Ces exemples de piété que l’on rencontre quelquefois chez les esclaves, et qui dépassent la mesure ordinaire des esprits les plus cultivés, sont en général le résultat de malheurs et de douleurs si absolument accablans, qu’ils ne laissent d’autre ressource que Dieu. Pour une âme qui est ainsi ravie jusqu’aux régions supérieures de la piété, combien de milliers sont rejetées et anéanties dans un abrutissement mortel ! »

Telle était Milly, que nous retrouverons plus tard. Nous voudrions arriver au personnage principal de toute cette galerie blanche et noire, au vieux nègre Tiff. Quelques mots suffiront pour mettre au courant de l’histoire et de la position du vieux Tiff. Il était esclave