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Tiff s’en alla donc à la Grande-Plantation, chez Nina, qui, en voyant arriver cette singulière figure, eut peine à ne pas rire ; mais Tiff lui dit : « Il y a eu un deuil dans notre maison ; pauvre miss Sue, ma jeune maîtresse, elle est retournée chez elle… C’était une Peyton de Virginie ! Grande famille, ces Peyton ! Elle a fait un mariage malheureux, comme font quelquefois les filles, ajouta Tiff d’un air mystérieux. Un homme de rien ; la pauvre créature a bien souffert. Moi, je suis Tiff, Tiff Peyton, pour vous servir. J’ai été élevé en Virginie, dans la grande maison Peyton. et quand miss Sue a épousé cet homme, sa famille n’a plus voulu la voir… Mais moi j’ai dit que je la suivrais jusqu’à la mort, et c’est ce que j’ai fait… »

Nina envoya Milly rendre les derniers devoirs à la morte, et elle-même alla visiter les enfans ; elle promit à Tiff de venir à l’enterrement, et le vieux Tiff lui dit :

« Dieu vous bénisse ! miss Gordon. Vous êtes trop bonne. Mon cœur se brisait en pensant que personne ne s’inquiétait de ma jeune maîtresse. Puis voyez-vous, miss Nina, continua-t-il à voix basse à propos du deuil, il ne s’agit pas de cet homme, il ne compte pas ; mais ma maîtresse était une Peyton, et je suis un Peyton aussi, et j’ai naturellement une responsabilité qu’on ne peut pas attendre de lui. J’ai ôté les rubans du chapeau de mis Fanny, et j’y ai mis du crêpe noir que Milly m’a donné ; puis j’ai mis un crêpe sur le chapeau de master Teddy ; je voulais en mettre sur le mien, mais il n’y en avait pas assez. Vous savez, miss Nina, les vieux serviteurs dans toutes les familles portent des crêpes. Si vous vouliez seulement jeter un coup d’œil sur mon ouvrage ? Tenez, voilà le chapeau de miss Fanny. Après cela, nous ne sommes pas une modiste… »


Cependant Clayton et Carson, l’autre prétendu de Nina, arrivent tous les deux à la fois pour lui faire visite. Il s’ensuit une série de petites scènes comme on en rencontre dans tous les romans de l’ancien monde, et par-dessus lesquelles nous passons. M. Carson reçoit un congé gracieux et le prend très gracieusement ; il n’en continue pas moins à être un aimable vieux garçon. Malheureusement la paix de la plantation va être troublée par un nouvel arrivant ; c’est Tom Gordon, le frère de Nina, qui vient s’y installer en maître, remet à leur place les esclaves trop émancipés, épouvante sa sœur et menace de loger une balle dans la tête de Harry. Nina, pour éviter le sang, veut éloigner son esclave, son frère naturel, et l’envoyer en campagne. Au moment où elle lui donne ses instructions, survient Lisette, la femme de Harry. Tom Gordon la voit, la trouve jolie, et prend avec elle les privautés du maître, et alors Harry dit à Nina :

« — Regardez, miss Nina ; voyez-vous ma femme et votre frère ?…

« — Sur mon âme, monsieur, dit Tom en s’adressant à Harry de l’air le plus insultant, nous vous devons beaucoup de reconnaissance pour avoir amené ici ce joli petit article de fantaisie.

« — Ma femme n’appartient pas à cette maison, dit Harry en tâchant de rester calme ; elle est à la maîtresse d’une plantation voisine.

« — Ah ! merci du renseignement. Il peut me prendre la fantaisie de l’acheter, et je suis bien aise de savoir à qui elle est. J’avais besoin d’un joli petit objet de ce genre. Elle tient bien une maison, n’est-ce pas, Harry ? Elle